Par antonomase (utiliser un nom propre non pour renvoyer à un individu mais à la propriété dont il est l’exemple type), le nom du 1er ministre russe Grigori Potemkine évoque l’imposture, à travers une métonymie et une métaphore : son nom est resté attaché à la construction de façades de carton-pâte pour masquer aux yeux de l’impératrice Catherine II, en visite, le délabrement de la Crimée réelle et cachée ; et il est étendu à toute dissimulation analogue – on peut penser qu’il l’abusa facilement, voire avec son inconscient consentement : ils furent amants heureux. Le discours d’Emmanuel Macron serait donc un trompe-l’œil, le président mettant ses pas selon Olivier Faure dans ceux d’un premier inventeur, sans doute Nicolas Sarkozy évoqué (par dialogisme) quand E. Macron affirme : « J’ai appris, j’ai changé » – énoncé qui combine les confessions sarkoziennes de 2007 (“j’ai changé”) et de 2012 (“j’ai appris”).… Mais il n’est pas sûr, semble-t-il dire aussi (et Nicolas Sarkozy n’est pas un précédent encourageant), que le peuple français vive avec Emmanuel Macron une idylle aussi heureuse que l’éponyme avec sa protectrice, prête à le suivre sur le terrain de la séduction…
Étiquette : antonomase
« C’est un peu notre Arlette Laguiller de la droite nationale, Marine Le Pen »
Éric Zemmour sur BFMTV le 12 janvier 2022
Faire précéder un nom propre (ici un anthroponyme) d’un déterminant (ici un adjectif possessif) transforme le premier en nom commun par antonomase. Une réalité unique devient l’élément archétypique permettant de désigner une catégorie. Pour Éric Zemmour, quelle est donc la caractéristique d’Arlette Laguiller que l’on peut retrouver chez d’autres protagonistes des scrutins présidentiels, dont Marine Le Pen ? Leur commune orientation extrémiste n’est certainement pas en cause pour l’ancien polémiste de CNews, pas plus que leurs scores, très inégaux. Ce qu’Éric Zemmour reproche explicitement à Marine Le Pen est qu’elle porte une candidature de routine. Pourtant, ce n’est que la troisième fois qu’elle postule à la présidence de la République, alors qu’Arlette Laguiller l’a fait à six reprises. Jacques Chirac, François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen ont candidaté plus souvent que la fille de ce dernier. Peut-être faut-il aller chercher d’autres motivations plus implicites, comme le fait qu’Arlette Laguiller est la plus connue dans la catégorie des petits candidats : Marine Le Pen ne jouerait pas dans la cour des grands. Ou encore le fait qu’Arlette a été la première femme à candidater à une présidentielle : Éric Zemmour renverrait ainsi Marine à ses casseroles, et son parti à son incapacité à se doter d’un héraut doté de cette virilité qui sied selon lui à un chef de l’Etat.
« Emmanuel Macron se rêve en Napoléon mais n’est au final qu’un Poutine de supérette »

Revue de presse internationale, France Culture, jeudi 6 mai 2021
La traduction française conserve les deux figures marquantes de cette diatribe publiée en ligne par Daniel Hannon sur le site du Daily Mail (« Emmanuel Macron, the new Napoleon? No, he’s a Poundland Putin ») : une métaphore (« Napoléon ») et une antonomase corrigée (« Poutine de supérette ») – l’allitération en « p » qui suggère que le Poutine macronien est de même essence que le commerce bas de gamme (la chaîne de magasins Poundland vend tous ses produits, comme l’indique son nom, pour 1 £) passe par contre à la trappe…
Napoléon et Poutine mis en paradigme invitent à une lecture isotopique, celle de la /soif de conquête/, grande ici ou réputée telle, petite là. La « supérette » française donne à Macron, encore moins digne que Poutine, le visage d’un commerce quotidien et riquiqui (le suffixe diminutif –ette venant encore enfoncer ce clou). L’antithèse entre « se rêver en » et « n’être que », opposant un conquérant bâtisseur et un dictateur « de supérette » (c’est plus méprisant encore que « d’opérette », qu’on entend à demi-mot…), épingle un possible déni de réalité de Macron, suffisant, pas du tout à la mesure de son modèle, n’en incarnant malgré son ambition démesurée que les aspects les plus contestables, bref : une baudruche (métaphore implicite).
« La phase Dalida »

Précisant le 12 mars sur les chaînes nationales de télévision la position officielle vis-à-vis la pandémie due au Covid-19, Emmanuel Macron a dans le même temps fait, du moins dans son discours, une quasi volte-face idéologique en affirmant la nécessité de soustraire les biens et services publics aux lois du marché. Ces déclarations sont-elles à prendre pour argent comptant ? Eh non, pour la plupart des commentateurs. Dès le surlendemain, Laurent Joffrin écrit dans Libération, en clin d’œil au tube italien Parole parole (1972) repris l’année suivante par Alain Delon et Dalida : « Pour l’instant, nous en sommes à la phase Dalida : paroles, paroles… ». Formulation courante de la traditionnelle opposition entre le dire et le faire, le refrain est ici intégré à une création discursive assez spectaculaire (et cela convient très bien parce qu’il y a ici une pointe de sarcasme) : elle greffe une antonomase sur un substantif épithète : le nom propre – lui-même un concentré rhétorique : homorythmie, allitération et épanadiplose (il finit comme il commence) – vaut ici pour les propriétés attribuées à la vedette qu’il désigne. Voilà donc E. Macron réduit, car il y a une contamination métaphorique sous-jacente, à une chanteuse de variétés décédée il y a 33 ans, référence culturelle grand public et rien moins que contemporaine. Et voilà enfin, par le présupposé d’existence porté par la détermination définie, le comportement présidentiel considéré comme une manière de réagir tout à fait ordinaire, quasi machinale, ce qui revient à lui dénier quoi que ce soit d’innovant, et surtout ramené à un pur show – discrédité par un « esprit paillettes ». C’est d’ailleurs ce qui est dit par ce dialogisme (propos initialement adressés par Dalida à son destinataire, mais projetés sur Emmanuel Macron par groupement métonymique) : « paroles, paroles… ». Bref, après avoir lu Laurent Joffrin, le désamour l’emporte : chansons que tout cela !
Crédits photo : H. Studte sur le site Cafébabel
“Pour un nouvel Epinay de la gauche”
Tribune, Le Monde, 4 mars 2020
Dénommer le congrès d’un parti politique par le nom de la ville dans lequel il s’est tenu relève bien sûr de la métonymie. Ainsi en va-t-il de la relation entre l’accession de François Mitterrand à la tête du PS et la ville d’Epinay-sur-Seine, dont le nom est raccourci pour les besoins de l’opération : Epinay n’est alors plus le nom d’une localité, mais celle d’une réunion restée historique, celle qui a vu la dernière étape de la transformation du Parti socialiste, Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), en Parti socialiste – tout court, dénomination souvent ramenée à sa siglaison PS. Le Parti d’Epinay était né, en cette fin de printemps 1971. En quelques mois, la fort délabrée Vieille maison (périphrase métaphorique référant au discours de Léon Blum au congrès de Tours) était transformée en un puissant outil de conquête du pouvoir, portant son leader à l’Elysée dix ans plus tard, après avoir conduit tant de ses militants dans de nombreuses assemblées régionales, départementales et municipales.
Le côté quasiment miraculeux du processus justifie le passage de la métonymie à l’antonomase. On va dorénavant parler d’un Epinay pour dénommer un congrès susceptible de transformer, sinon le plomb en or, du moins l’émiettement en rassemblement et les défaites lancinantes en victoires éclatantes ! Rien de surprenant dès lors à ce que fleurissent, aux lendemains de la double scission macronienne et hamoniste, des déclarations demandant un nouvel Epinay ou suggérant de refaire Epinay. Dernier appel en date, particulièrement remarquable par la qualité de ses signataires, tous mitterrandistes de la première heure et anciens dignitaires des deux septennats de l’auteur du Coup d’Etat permanent, celui publié par Le Monde du 4 mars 2020 et intitulé : « Pour un nouvel Epinay de la gauche ! »[1]. Le titre est reformulé plus explicitement dans le corps du texte : « un nouvel Epinay, de toute la gauche cette fois ». L’antonomase ainsi précisée s’en trouve appauvrie.
En effet, on peut se demander si ce rassemblement des « Verts, Insoumis, Communistes, Socialistes, Radicaux, etc. » ne fait pas plus penser au congrès de 1905 dit, là encore par métonymie, du Globe parce qu’il s’était tenu dans la salle portant ce nom, à Paris. Le congrès d’Epinay ne créait pas à proprement parler un nouveau parti : il s’agissait toujours du Parti socialiste, qui gardait son siège central, ses locaux départementaux et communaux ou cantonaux, ses permanents. Juridiquement, il n’y eut aucune solution de continuité (toujours pour parler à la manière de Léon Blum) : le Parti socialiste (PS) continuait purement et simplement le Parti socialiste (SFIO) – lequel avait d’ailleurs abandonné ce sous-nom depuis déjà deux ans.
La comparaison, constitutive de l’antonomase, semble bien plus pertinente entre ce à quoi appelle le texte récemment publié et le congrès du Globe, qu’entre ledit souhait et le congrès d’Epinay. Il s’agit bien de fusionner des organisations existantes en un parti nouveau, et non de transformer un parti existant. Mais il est vrai que tant le Globe qu’Epinay ont été appelés congrès de l’unité. Peut-être un troisième congrès – le troisième congrès majeur de l’histoire socialiste française – pourrait être aussi convoqué : celui de Tours, qui connut la grande scission et la création du Parti communiste. Le projet de rassembler à nouveau communistes et socialistes reviendrait en effet à « refaire un congrès de Tours à l’envers », comme l’écrivait Julien Dray[2] – pour écarter cette hypothèse.
Mais en tout
état de cause, la référence au congrès d’Epinay est aujourd’hui beaucoup plus
parlante que celle au congrès du Globe, et celle au congrès de Tours commence à
s’obscurcir – cent ans déjà ! Or, pour fonctionner, l’antonomase doit parler…
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/03/pour-un-nouvel-epinay-de-la-gauche_6031610_3232.html
[2] Dray (Julien), Ce qu’il faut changer au Parti socialiste, Grasset, 2003.
Est-ce la revanche de « Pépère » sur « Brutus » ?

Frédéric Says, « Billet politique », France Culture, 13 novembre 2019
Rétrogradé de « Brutus » à « Pépère » dans cette question de Frédéric Says, Emmanuel Macron a radicalement changé d’éthos – c’est ce que dit du moins cet oxymore complexe. Le premier membre de l’antithèse est une antonomase : en utilisant son nom comme celui d’une catégorie, cette figure extrait d’un personnage célèbre les propriétés qui s’appliquent à un personnage du présent. On connaît les mots qu’adresse traditionnellement César à son assassin, Brutus : tu quoque, filii (ou plutôt kai su, paidon, car les élites romaines parlaient grec). François Hollande n’a rien dit à son fils métaphorique, mais celui-ci a fait dissidence et s’est présenté contre lui : autre métaphore, du meurtre pour l’indépendance politique, présentée non comme une autonomie salutaire mais comme une infidélité ingrate. Et en monnaie de sa pièce, voilà à présent l’ingrat vieilli, empâté, confit : c’est ce que dit la réduplication expressive de « pépère », qui – c’est sa motivation – commence par stagner (de « pé » à « pé »). « Pépère » est l’exact contraire d’une antonomase : devenue par aptonymie le nom d’un personnage de Gotlib (Pervers Pépère), c’est d’abord un nom commun et une catégorie ordinaire qui conviendrait on ne peut mieux à Emmanuel Macron, lequel ne mériterait pas mieux que le tout venant. Et, comme le montre la majuscule dans la version écrite de ce billet disponible sur le site de France Culture, ce tout venant lui va comme un gant puisque ce nom commun est devenu son surnom.
Cincinnatus version Saône-et-Loire

Frédéric Says, Billet politique, France Culture, 20.09.2019
En 2017, Xavier Bertrand a quitté Les Républicains ; il se contente aujourd’hui de présider le Conseil régional de son fief picard. Frédéric Says en connaît un autre qui déjà, mutatis mutandis comme pour toute antonomase, a tourné le dos au national pour lui préférer le régional (et même, dans son cas, le départemental) : Arnaud Montebourg, parti soigner ses abeilles et produire du miel. Ce que Frédéric Says commente en une antonomase corrigée : « Le boulot d’entrepreneur au plus près de la vie concrète, en Cincinnatus version Saône-et-Loire, l’ancien général romain parti labourer ses champs ». Pourquoi préciser cette différence ? Parmi toutes les propriétés qui distinguent Arnaud Montebourg de Cincinnatus (l’époque, le métier, etc.), Frédéric Says en choisit une : le lieu. Plus précisément le terroir : c’est envisager Montebourg au niveau non d’un État (la France) mais d’un département (la Saône-et-Loire), et cette correction réduit la portée de la possible opération politique de Bertrand, qui serait lui aussi un « Cincinnatus au petit pied ». On se retrouve en tout cas avec deux petits Cincinnatus version terroir, diamétralement opposés en politique, mais qu’importe, et rien de nouveau sous le soleil.
« La défaite de la pensée Finkielkraut »

(éditorial de Laurent Joffrin, Libération du 29 mai 2019, p. 2)
Le 29 mai, après les élections européennes, Laurent Joffrin constate en un concentré de figures le naufrage inattendu de ceux que, il y a plus de quinze ans, Daniel Lindenberg taxait déjà « réactionnaires ». Le titre de son édito est dès l’abord résolument dialogique : La Défaite de la pensée est précisément un essai d’Alain Finkielkraut paru en 1989, il y a tout juste 30 ans. Ensuite, la « pensée Finkielkraut », construction essentialisante où le substantif épithète (le nom propre « Finkielkraut ») vient construire une seule entité fusionnelle – comme c’était le cas dans La Pensée 68 de Luc Ferry et Alain Renaut, dont Finkielkraut partage les thèses controversées –, donne à cette tendance des racines historiques concentrées par métonymie en un personnage emblématique, Alain Finkielkraut.
Cette construction repose fondamentalement sur une antonomase : le Finkielkraut réel se réduit à l’orientation de sa pensée et représente tous ceux qui, depuis, ont adopté les mêmes orientations intellectuelles. De ce fait, l’énoncé est à la fois sylleptique et récursif : sylleptique parce que sont énoncés en même temps les références d’un livre et la débâcle de ceux qui s’y rattachent ; récursif parce que, du fait que la pensée dont il est question s’incarne dans un ouvrage intitulé La Défaite de la pensée, on assiste alors à la défaite de la défaite (s’agit-il, comme le voudrait la logique, d’une victoire pour les autres ?). Bref, on a une sorte de rétorsion : « c’est çui qu’y dit qu’y est ».
Crédits photo : ARCHIVES PHILIPPE CHEREL – OUEST-FRANCE
Un Juppé sans calvitie ou un Raffarin maigre, au choix
Laurent Joffrin, Libération du 26 avril 2019
Jeudi 25 avril 2019, Emmanuel Macron révèle lors d’une conférence de presse sa ligne politique, remodelée par le Grand débat où ont pu s’exprimer, en pleine révolte des Gilets jaunes, les doléances d’une large part des Français. Dès le lendemain, Laurent Joffrin résume ainsi aux lecteurs de Libération la supposée refonte de la politique gouvernementale : celui qui promettait d’abolir tous les clivages, en particulier entre la droite et la gauche, est face aux revendications sociales « un Juppé sans calvitie ou un Raffarin maigre, au choix ». Cette double antonomase corrigée se décode aisément – à droite toute ! – parce qu’elle s’appuie sur des stéréotypes pour extraire, ici de Raffarin ou de Juppé, une ou plusieurs propriétés saillantes, et de surcroît communes : car on a le choix de son antonomase préférée.
La propriété « être de droite » est en accord avec le contexte, Laurent Joffrin précisant que dans la « droite sociale » qui définit la politique d’Emmanuel Macron, le mot « droite » doit être écrit « en majuscules ». Mais elle n’est pas la seule pertinente : la synecdoque sur laquelle repose la figure est dans les deux cas implicite. Juppé et Raffarin sont aussi tous deux retraités de la politique : le nouveau monde promis par Macron s’annonce donc ancré non seulement dans le déjà-vu, mais dans le révolu. De même, ni Juppé ni Raffarin n’ont la réputation de prêter l’oreille pour infléchir leur politique aux plaintes sur le mal-être provoqué par l’austérité…
Corrigée, l’antonomase exprime une équivalence mutatis mutandis – « en changeant ce qui doit être changé » – qui non seulement ouvre d’autres aperçus sur les stéréotypes sociaux, mais dénonce surtout une conception de la politique. Juppé ? Chauve. Raffarin ? En surpoids. Macron ? Maigre et jeune (pourvu de tous ses cheveux). Voilà le renouveau macronien ramené « au physique », à l’apparence, et vidé de son sens : de fait, la corpulence et la pilosité crânienne sont deux valeurs sûres pour le marketing, la publicité, le look, mais pas en principe pour la politique. En les ciblant, Laurent Joffrin déchire l’emballage, et semble inviter à ne pas se laisser avoir par le packaging !
Source de l’image : Risiardo
“Une benallisation de la police”
Mercredi 16 janvier, sur France Culture, l’écrivain David Dufresne reconnaît avoir parlé d’une « benallisation de la police ». On ignore combien de temps cette « benallisation » dite et redite restera dans les mémoires mais, dans sa mise en circulation, l’expression illustre le dialogisme des formules à succès. Elle a d’ailleurs tout pour réussir, puisqu’au-delà de l’écho à son paronyme « banalisation », que le monde politico-médiatique emploie à tout propos, elle convoie des stéréotypes sociaux qu’elle contribue à révéler. La dérivation dénominale présuppose une antonomase (les policiers sont des Benalla), laquelle réduit un individu considéré comme emblématique aux propriétés dont il est porteur – il a le profil du rôle. Le rôle, c’est l’utilisation illégitime de la force, la violence injustifiable et sans sommation (on n’est pas loin de la violence sadique…). Quant au profil, c’est celui d’un sbire embarrassant du pouvoir politique, second couteau abusant de la force « virile », dont les origines – « issu des cités » ou « de l’immigration maghrébine » – sont souvent rappelées. Il n’en faut pas plus pour que la « benallisation de la police » ne prenne une connotation singulièrement péjorative : elle ne peut provenir que d’un nouveau monde (macronien) et range les gendarmes du côté des voleurs. Un rappel implicite de la pensée où Pascal regrette que la force se soit arrogé la légitimité de la justice ?