Quatre cubes empilés surplombant le Parc Martin Luther King, comme un escalier s’élevant vers une justice idéale, comme un grand banc de justice planté Porte de Clichy entre loulous de banlieue et nouveaux bobos des Batignolles, comme un puits aussi au fond duquel s’est écrasé un prévenu désespéré. Entré là par hasard, Jean-Paul Honoré (JPH), promeneur de Paris, a découvert les lieux encore cernés par les grues et les échafaudages. Il s’est installé au milieu des familiers, passant d’une cour à l’autre, des Flags aux Assises, des divorces, avec ou sans violences, aux éclats des grands procès d’affaires. Il transcrit les mots, observe le tribunal dans ses moindres détails, architecturaux, minéraux, végétaux, symboles, textures, assemblages de bruits, de goûts, de fureurs et de couleurs. Sur les bancs du public, dans les couloirs, dans le hall où les pas se croisent, le poète du quotidien ouvre la chronique judiciaire à une littérature potentielle, en livrant les bribes de la justice en cour(s). Véritable ethnographie de la communication institutionnelle, on y entend la rumeur de tout le champ judiciaire, du procès de maltraitance au travail, avec ses ténors, son apparat, ses complicités et ses basses oeuvres, jusqu’au petites affaires, celles des victimes et de leur familles, des justiciables et leurs conseils, des magistrats assis ou debout, tantôt juristes incompris, tantôt psychologues du quotidien, pères ou mères fouettardes, sans trop y croire.
De touches en touches, fragments et séquences plus longues habilement agencées, les brèves d’audiences de la chronique judiciaire se font récit au long cours, dont le fil s’interrompt juste avant le dénouement judiciaire, pour maintenir l’anonymat et le suspens.
L’écriture de JPH parle objectivement, résultat d’un patient travail d’élagage, avec juste le signe discret qui réveille la lecture : un souvenir amusé ou piquant, une allusion littéraire sans s’arrêter. Des faits, des faits, aller son chemin sur la page d’écriture. On sent le plaisir digital du greffier sur le clavier, les doigts qui s’arrêtent un instant pour rêver, et reprendre aussitôt leur chemin descriptif. Ecrit en vous, le texte semble vous impliquer dans sa visite, tout en signalant discrètement la présence d’un auteur, votre guide.
Voilà soixante-cinq ans, dans son nouveau roman, Michel Butor, vous avait entraîné dans les détails les plus objectivants d’un trajet Paris Rome, et de ses modifications successives. Deux décennies plus tard, Georges Perec s’était posté au Café de la Mairie de Saint-Sulpice pour suivre, minute par minute, vingt-quatre heures de la vie d’une place. JPH nous associe à l’exercice oulipien : épuiser un lieu, un bâtiment, un édifice, un monument, une corporation, des parlures, des rituels infiniment répétés, avec leur variations infinitésimales, pour saisir sur le vif la justice mode d’emploi, je veux dire le théâtre pénal où improvisent les rhéteurs commis d’office, les causes civiles où les honorables confrères et consoeurs se mesurent à fleurets mouchetés, les grandes affaires où les stars de l’éloquence recyclent les formules toutes faites et les idées reçues, le public surtout qui participe au spectacle, tricoteurs ou tricoteuses, condamnés novices, récidivistes confirmés, victimes angoissées ou quérulents indignés.