(éditorial de Laurent Joffrin, Libération du 29 mai 2019, p. 2)
Le 29 mai, après les élections européennes, Laurent Joffrin constate en un concentré de figures le naufrage inattendu de ceux que, il y a plus de quinze ans, Daniel Lindenberg taxait déjà « réactionnaires ». Le titre de son édito est dès l’abord résolument dialogique : La Défaite de la pensée est précisément un essai d’Alain Finkielkraut paru en 1989, il y a tout juste 30 ans. Ensuite, la « pensée Finkielkraut », construction essentialisante où le substantif épithète (le nom propre « Finkielkraut ») vient construire une seule entité fusionnelle – comme c’était le cas dans La Pensée 68 de Luc Ferry et Alain Renaut, dont Finkielkraut partage les thèses controversées –, donne à cette tendance des racines historiques concentrées par métonymie en un personnage emblématique, Alain Finkielkraut.
Cette construction repose fondamentalement sur une antonomase : le Finkielkraut réel se réduit à l’orientation de sa pensée et représente tous ceux qui, depuis, ont adopté les mêmes orientations intellectuelles. De ce fait, l’énoncé est à la fois sylleptique et récursif : sylleptique parce que sont énoncés en même temps les références d’un livre et la débâcle de ceux qui s’y rattachent ; récursif parce que, du fait que la pensée dont il est question s’incarne dans un ouvrage intitulé La Défaite de la pensée, on assiste alors à la défaite de la défaite (s’agit-il, comme le voudrait la logique, d’une victoire pour les autres ?). Bref, on a une sorte de rétorsion : « c’est çui qu’y dit qu’y est ».
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