Par antonomase (utiliser un nom propre non pour renvoyer à un individu mais à la propriété dont il est l’exemple type), le nom du 1er ministre russe Grigori Potemkine évoque l’imposture, à travers une métonymie et une métaphore : son nom est resté attaché à la construction de façades de carton-pâte pour masquer aux yeux de l’impératrice Catherine II, en visite, le délabrement de la Crimée réelle et cachée ; et il est étendu à toute dissimulation analogue – on peut penser qu’il l’abusa facilement, voire avec son inconscient consentement : ils furent amants heureux. Le discours d’Emmanuel Macron serait donc un trompe-l’œil, le président mettant ses pas selon Olivier Faure dans ceux d’un premier inventeur, sans doute Nicolas Sarkozy évoqué (par dialogisme) quand E. Macron affirme : « J’ai appris, j’ai changé » – énoncé qui combine les confessions sarkoziennes de 2007 (“j’ai changé”) et de 2012 (“j’ai appris”).… Mais il n’est pas sûr, semble-t-il dire aussi (et Nicolas Sarkozy n’est pas un précédent encourageant), que le peuple français vive avec Emmanuel Macron une idylle aussi heureuse que l’éponyme avec sa protectrice, prête à le suivre sur le terrain de la séduction…
Catégorie : Figurez-vous…
Elections 2017 et au-delà : les figures de style en politique
« Mais à un moment donné, la France c’est le foie gras »

(Valérie Pécresse le 12 décembre 2021 sur France 3)
Si cette phrase a été immédiatement moquée c’est parce que deux chaînes métonymiques s’affrontent : l’une, traditionnelle, que Valérie Pécresse explicite, des objets ou pratiques réputés préalablement emblématiques de la France dans un prédiscours qui forme un réservoir dialogique collectif ; l’autre, laissée implicite, qui intègre la France à un univers non mémorisé et peut-être plus actuel, fait d’égalité entre les sexes, de tolérance vis-à-vis de toute croyance et de respect de la biodiversité – en fait d’univers traditionnel c’est un véritable cliché de la francité que promeut la candidate : outre le foie gras, il y a aussi le sapin de Noël, miss France et le Tour de France, tous objets polémiques (le foie gras comme indifférence aux souffrances animales, le sapin de Noël comme référence religieuse dans une république laïque, le concours et la course comme machistes au pays de l’égalité). Les brandir, ce n’est pas seulement cibler la France mais surtout, par une autre métonymie établie par le souvenir de débats récents, affirmer une position politique. Les métonymies, réputées tropes référentiels (elles exploiteraient sans médiation nos connaissances sur l’univers), exploitent sans surprise une conception du monde plutôt que le monde lui-même ; celles de Valérie Pécresse, rien moins que neutre, sont sans doute délibérément « conservatrices ». Ainsi en se présentant innocemment comme énonçant un réel tout simple, les discours de campagne, en un rêve de performativité, cherchent-ils plutôt à l’instaurer.
« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder »

Emmanuel Macron, Le Parisien, 4 janvier 2022
L’analyse de Hugues de Chanay
Haro sur les non-vaccinés, via une métaphore analogique (identité de propriétés entre deux réalités) et homologique (identité de relations entre deux scènes) : d’un côté, les matières fécales, indésirables, sont les toxines rejetées par un organisme (base analogique) qui souillent et altèrent désagréablement ce qu’elles touchent (base homologique) ; de l’autre, on va imposer aux non-vaccinés des restrictions sévères, donc des emmerdes (par exemple le passe vaccinal – le vaccin serait-il alors une emmerde ? – analogie) qui leur rendront la vie difficile (homologie).
Mais l’énoncé est étonnant dans la bouche d’un président.
D’abord les décisions sont justifiées non par leur caractère raisonnable mais « expressivement », pour leur capacité à assouvir le désir d’un individu (« j’ai très envie »).
Le président y prend la posture d’un « Français moyen » qu’il réduit à un stéréotype familier, populaire, si ce n’est vulgaire, capable d’employer le mot « emmerder » – non seulement ce n’est guère fédérateur, mais ces équivalences n’indiquent guère de considération. Les médias étrangers ont des difficultés à trouver, entre l’affadissement (euphémismes usuels) et la transgression (qui suppose de leur part d’adopter, et peut-être du même coup d’approuver, la même audace qu’Emmanuel Macron) comment traduire ce verbe lourdement connoté.
Enfin il manifeste une antithèse entre l’éthos attendu (celui d’un président) et celui qui est réalisé, c’est-à-dire plutôt, selon les commentateurs, un éthos de candidat, qui non seulement n’aurait pas « peur des mots », mais chercherait à produire une parole qui, à défaut peut-être d’être « disruptive », tranche et sera commentée. La seule chose sûre c’est que si cette parole autorise ce registre de discours aux arguments de campagne – et c’est sans doute dans le style qu’on trouve la plus convaincante performativité de la parole : porte ouverte au langage « vulgaire » (dit la BBC), il faut s’attendre à avoir des réactions du même acabit.
L’analyse de Pierre Fiala
C’était bien une insulte politique, proférée par le président devant des lecteurs du Parisien libéré.
Emmerder est une trivialité, une grossière courante dans tous les milieux, qui peut surprendre un peu chez un responsable gouvernemental, mais c’est aussi et surtout une figure d’insulte violente, malgré les modulations. Derrière la grossièreté de façade du quasi candidat Macron (n’est pas Sarkozy qui veut), en campagne depuis l’automne 2021, se cachait bien une volonté d’injurier et de provoquer, qui s’est en fait substituée dans l’espace public aux vœux rituels du début de l’année électorale 2022.
Emmerder c’est gêner, ennuyer, disent les dictionnaires. Mais dans l’énoncé à la première personne du présent de l’indicatif, “Je vous emmerde”, il s’agit de l’emploi appelé délocutif par Émile Benveniste (PLG I, Hommage à Spitzer, qui ne cite toutefois pas ce verbe) qui signifie alors formellement « Je vous dis merde ». De la même façon que dire Je vous salue signifie : « Je vous dis salut », ou « je vous remercie » signifie « je vous dis merci », comme aussi Je vous maudis, ou d’autres verbes moins délocutifs, mais à coup sûr performatifs, anathématiser, pardonner, condamner, voire aimer.
Cet emploi constitue en effet, comme on sait, un énoncé performatif, un acte de langage, qui est bien une insulte en l’occurrence, où l’énonciateur est l’insultant, l’énonciataire l’insulté, dans une situation formelle, qui se trouve ainsi transformée. Vous pouvez dire sans risque majeur à un douanier qu’il vous emmerde, mais n’allez pas lui dire que vous l’emmerder… Ainsi le président en campagne ne dit pas tant qu’il veut gêner, ennuyer la minorité des non vaccinés (ce qu’il a fait par ailleurs ostensiblement), voire la couvrir d’excrément ( ce qu’il ne fait pas, même métaphoriquement), il dit simplement qu’il souhaite lui dire merde, et lui faire ainsi injure de ne pas obéir à son autorité. Cela rappelle d’autres bravades du quinquennat. Il semble toutefois que l’effet perlocutoire, comme disait Strawson, est resté limité dans ce cas, tant les médias et les commentateurs autorisés se sont efforcés d’en amoindrir les effets politiques et sociaux.
Cambronne eut devant la défaite, on le dit, davantage de panache, là c’est plutôt la provocation arrogante qui frappe.
« Au moins elle a un prénom bien français »
Le 30 novembre 2021 au journal de 20 h de TF1, face à Gilles Bouleau, à propos de Joséphine Baker tout juste entrée au Panthéon, Éric Zemmour déclare : « Joséphine Baker avait un prénom français » (rappelons au passage que plus de 300 000 Américaines ont été prénommées « Joséphine » depuis 1880). On peut y déceler divers sous-entendus en vertu de la maxime de pertinence (celle-ci reconnaît que les formulations littérales ont un but et fonde des implicatures ou inférences conversationnelles), notamment celui-ci : étrangère (ce qui est faux, puisqu’elle est devenue française en 1937), elle se serait quand même adaptée à la culture française (implicature confirmée par la suite du propos : « surtout, c’est l’exemple même du modèle d’assimilation à l’ancienne, que je veux restaurer »). Mais le décodage des sous-entendus, aléatoires et dépendant du contexte, encourt toujours le reproche de reposer sur une pétition de principe (Éric Zemmour, ainsi que les idées qu’on lui prête, faisant d’ailleurs eux-mêmes partie dudit contexte).
Rien de tel avec un présupposé comme celui que propose le site Chlomohebdo en ajoutant dans sa paraphrase l’intensif « bien » (qui ici consacre un stéréotype accompli) et « au moins » (connecteur qui appartient à une échelle argumentative): le présupposé qui lui est attaché est implicite lui aussi, mais linguistiquement irrécusable. Aussi le « prénom français » est-il présenté, soit comme une circonstance atténuante dont peut bénéficier Joséphine pour contrebalancer l’ensemble de ses travers, soit comme le résultat d’un choix exemplaire qui motive son repêchage au sein des autres « étrangers » (/à bon entendeur salut : prenez-en de la graine/). On ne peut s’empêcher de voir là une stratégie de l’arroseur arrosé ou, pour le dire en termes rhétoriques, de la rétorsion : Chlomohebdo dit tout haut ce qu’Éric Zemmour, selon lui et en l’occurrence (car telle n’est pas son habitude), pense tout bas.
“Éric Ciotti, on pourrait l’appeler Éric Pécresse”

Amélie de Montchalin, France Info, 4 décembre 2021
“Éric Ciotti, on pourrait l’appeler Éric Pécresse, et Valérie Pécresse, on pourrait l’appeler Valérie Ciotti. Au fond, ils s’appellent tous les deux Fillon.” La ministre Amélie de Montchalin, commentant sur France Info le deuxième tour de la primaire du parti Les Républicains avant d’en connaître le résultat, le 4 décembre au matin, donne sa vision de l’affrontement entre Valérie Pécresse et Éric Ciotti. Pour ce faire, elle a recours à un dispositif rhétorique original, qui emprunte à la fois aux figures du mot-valise et du chiasme.
Le mot-valise est un néologisme qui rapproche deux mots différents dont l’un au moins est tronqué, par aphérèse ou apocope, pour en créer un troisième. Le procédé est utilisé de façon polémique depuis au moins le XIXe siècle. Dans les polémiques concernant un duel électoral, il sert à dénoncer la connivence de deux candidats pourtant réputés opposés. Ce fut par exemple le cas pour François Hollande et Jean-Luc Mélanchon appelés Hollanchon par Laurent Wauquiez en 2012, ou pour le même François Hollande et Nicolas Sarkozy, accusés la même année par François Bayrou de profiter d’une sarkhollandisation du débat politique, comme cinq ans plus tôt pour Ségolène Royal et déjà Nicolas Sarkozy, appelés parfois Sarkolène. De la même manière, Jacques Chirac et Lionel Jospin, encore cinq ans plus tôt, avaient été baptisés Chirospin. Autant de noms propres traités sur le modèle du mot-valise, comme on a également pu le faire avec les sigles partisans – on se souvient de l’UMPS lepéniste.
Amélie de Montchalin, elle, semble plutôt s’inspirer de la saillie de François Fillon qui, en 2017, jouait sur les deux composantes de l’identité des personnes en parlant d’Emmanuel Hollande pour souligner la filiation politique que le futur vainqueur de la présidentielle cherchait à gommer. Elle n’hésite donc pas à présenter le duel en cours comme opposant Éric Pécresse et Valérie Ciotti. Ce faisant, elle combine l’usage de ce qu’on pourrait appeler des noms-valises avec la figure du chiasme, comme l’avait déjà fait Jean-Pierre Chevènement en 2002, parlant de Chirpin et Josrac, présentés comme les deux faces d’une même médaille. On connaît la force rhétorique du chiasme, et l’on se souvient du plus célèbre en politique, lancé en 1969 par le communiste Jacques Duclos, considérant que Georges Pompidou et Alain Poher, c’était blanc bonnet et bonnet blanc : une opposition de façade cachant une similitude profonde.
Mais Amélie de Montchalin ne s’arrête pas en si bon chemin, ajoutant que, « au fond », Éric Pécresse et Valérie Ciotti s’appellent tous les deux Fillon : ce ne sont plus deux mais trois personnages qui sont fondus en un seul, baptisés du nom du troisième, François Fillon, candidat battu dans les circonstances que l’on sait par l’actuel président de la République dont elle est une ministre. La suite des événements lui donnera raison ou tort, selon que les deux finalistes de la primaire feront cause commune durant la campagne ou afficheront leurs divergences.
Le cirque Zemmour
Libération, 18 novembre 2021, p. 20
La caricature étant une hyperbolisation des traits distinctifs, on reconnaît Zemmour à ses sourcils fournis, à son visage en cône inversé, à ses oreilles grandes, à sa manie de regarder par en-dessous : tronqué, il émerge du bas du cadre et le haut de ses iris est coupé à hauteur de pupille par des paupières tombantes mi-closes. Il plisse le front. Qu’a-t-il donc en tête ?
Pour le savoir, ouvrons-la comme une boîte (par métonymie, le secret du cerveau est le siège des « pensées profondes »). Réponse : le contenu se réduit à un singe mécanique de cirque (stéréotype ici d’un spectaculaire avortement évolutif) qui répète incantatoirement (car telles sont les triplications) « haine », « haine », « haine », aucune progression ne venant réanimer un discours statique. Les icônes abstraites qui matérialisent son trajet montrent que le singe tourne en rond : stérile, obsessionnelle, courte, la répétition n’est qu’un piétinement. La mimique furibonde de sa face, son corps baveux (de rage, on imagine), isotopes avec « haine », réduisent la pensée secrète à une unique propriété : l’/agressivité/. Enfin, le singe ponctue sa marche de coups de cymbales, dont les onomatopées – avec un Z comme Zemmour… – « dzim » montrent l’effet sonore : métonymie du tapage. Voilà Zemmour pour la dessinatrice Coco : du bruit médiatique, un discours incantatoire qui tourne en rond, de la fureur primitive.
“Concours d’orbite”

Concours d’orbite ? Voilà qui ne veut rien dire. Cherchons donc une interprétation non littérale.
Autrement dit l’absence de sens, née de la jonction des deux mots « orbite » et « concours », fonctionne comme indice de délittéralisation.
La syntagmatique de « concours », comme le confirme une paronomase in absentia, renvoie à « concours de bite », ce qui est tout à fait pertinent du point du vue isotopique. D’une part « orbite » est [spatial], comme l’événement qui occupe l’actualité : la destruction d’un satellite, analogue à celui qu’on voit à l’arrière-plan, par la Russie – à laquelle fait immédiatement penser l’image de Vladimir Poutine, qui vient de son côté conforter l’isotopie/russe/. D’autre part l’étrange « concours » (qui n’est pas seulement inattendu mais contrefactuel : aucun autre pays n’est venu rivaliser pour savoir qui détruirait le mieux ses satellites) présente un sème [concurrence] qui entre en résonance avec l’image d’un dirigeant russe, sévère, figé dans une virilité de marbre, aux lunettes noires d’inquiétante huile de la mafia.
Et en filigrane dialogique le concours de bites, pratique qu’on imagine dans les toilettes d’une cour de récréation, inculpe encore et toujours, chez un dirigeant de la planète, la puérile émulation des mâles.
“Ensemble citoyens!”
Ce n’est pas un parti politique, mais un regroupement de partis existants, dont l’objectif est principalement de faire en sorte que les élections législatives de juin 2022 permettent la constitution d’une majorité favorable au président sortant, dans l’hypothèse de sa réélection. La dénomination de cette nouvelle entité prend néanmoins place dans l’évolution des noms d’organisations partisanes.
On remarque d’abord l’absence de premier élément dans la dénomination – qui aurait pu être fédération, confédération, coordination, union… De même que les partis ne s’appellent plus guère parti, mouvement ou rassemblement, la structure organisationnelle n’apparaîtra pas comme telle dans la dénomination retenue. En lieu et place de ce qui aurait été une forme descriptive, on aura un nom dont la syntaxe est celle d’un slogan.
Le pluriel de citoyens indique clairement qu’on ne parle pas d’un ensemble citoyen. Il s’agit d’une phrase sans verbe, à valeur impérative, construit sur le modèle hymnique de la Marseillaise (Aux armes citoyens), et qui enjoint aux interpelés de s’unir. On attend alors un signe de ponctuation, plus précisément le point d’exclamation. Celui-ci figurera sans doute dans le logotype illustrant les affiches, mais pas dans le nom lui-même, comme c’est déjà le cas pour La République en marche / La République en marche!, Libres / Libres!, Debout la France / Debout la France! ou Ensemble / Ensemble! – le nom complet de la formation de Clémentine Autain étant Ensemble, mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire. Seule exception à la règle : le nom et le logotype du parti fondé par Barbara Pompili s’orthographient En commun! (cf. les sites de ces partis).
Mais à qui s’adresse exactement cet appel à l’union ? Là encore, la tendance dominante en onomastique partisane se retrouve : rien n’indique qui est contre qui, pour quoi ou contre quoi. Les deux mots composant le nom de la nouvelle structure sont politiquement et socialement neutres.
Ensemble, adverbe très utilisé dans les slogans, occulte la conflictualité pour ne laisser voir que le rassemblement et l’union qui en résulte. Un demi-siècle de campagnes présidentielles nous en a laissé des exemples célèbres : La France en grand, la France ensemble (Jacques Chirac, 1995), Nous irons plus loin ensemble (Jacques Chirac, 1988), La France ensemble (Jacques Chirac, 2002), Ensemble tout devient possible (Nicolas Sarkozy, 2007), Ensemble, la France ! (Emmanuel Macron, 2017, déjà !). Personne n’est exclu a priori, on est loin d’une quelconque lutte des classes (ou d’autres collectifs sociaux). Même Coluche, dans sa parodie de campagne en 1981, avait suivi cette stratégie, en l’adaptant à sa manière : Tous ensemble pour leur f… au c… avec Coluche.
Quant à citoyen, le mot est à la mode et incontestablement passe-partout (même s’il est implicitement opposé à politicien. Tout le monde est juridiquement citoyen et tout le monde se considère et se revendique comme tel (sauf à tenir le genre grammatical dit masculin comme non inclusif).
Ainsi, en appelant leur « maison commune » Ensemble citoyens, les chefs de la majorité présidentielle ont-ils scrupuleusement respecté à la fois la tradition aconflictuelle des partis de la droite et du centre, les contraintes stratégiques de l’électoralisme et les normes actuelles du marketing. Ils ont néanmoins fait preuve d’une certaine originalité. A notre connaissance en effet, citoyen ne figure dans le nom d’aucune autre organisation politique, à l’exception du Mouvement républicain et citoyen des anciens chevènementistes, aujourd’hui fondu dans la Gauche républicaine et socialiste. De même, ensemble n’est utilisé que par une seule autre entité, mais comme on l’a vu ci-dessus, suivi des critères du rassemblement souhaité (de gauche, écologiste et solidaire).
En dehors du champ politique, Google nous informe de l’existence d’une association ligérienne dénommée Ensemble citoyens!, qui regroupe des personnes avec handicap intellectuel. Il faut alors entendre : Nous sommes tous citoyens.
[Remarque typographique : dans un nom propre, comme pour les marques, il n’y a pas d’espace avant le point d’exclamation]
“Let’s go Brandon”
(Kelly Stavats sur NBC Sport, 2 octobre 2021)
Sorte de mème antiphrastique en ce qu’elle répète volontairement ce qui a été produit comme une erreur – interviewant le pilote Brandon Brown, la journaliste Kelly Stavats a cru que la foule massée près de lui criait « Let’s go Bandon » alors qu’elle criait « Fuck you Biden » – la formule est devenue aux États-Unis une manière de conspuer le président démocrate en toute légalité. Ainsi la législation est-elle impuissante face à la rhétorique, qui permet de produire une signification sans produire aucun des signes qui lui sont lexicalement associés : on peut interdire « casse-toi pauv’ con » mais pas « let’s go Brandon », pourtant au fond bien plus dysphémique, c’est-à-dire n’édulcorant aucun aspect négatif ou choquant ; mais donc bien plus euphémique en surface, c’est là ce qui compte. Le déguisement est d’autant plus inespéré que « Let’s go Brandon » ne ressemble à son « double » que sur la base d’une ressemblance sonore assez vague – qui pourtant a permis une confusion et donc, en consacrant un lien fortuit, une métonymie d’invention qui satisfait à la fois le respect de la dignité présidentielle et, indéniablement, le désir de grossièreté de certains militants politiques.
«Une sorte d’indemnité inflation »
Jean Castex, journal de TF1 le 21 octobre 2021
Cette « indemnité accordée au peuple est la réponse donnée par le gouvernement à une hausse inédite du prix de l’énergie. Elle avance tout d’abord une enclosure ou, en anglais, hedge : « une sorte de », qui permet à la fois de « relâcher » les critères catégoriels et, en l’occasion, de construire un ethos de phronèsis (« compétence ») en montrant une réaction inventive, se démarquant de la signification usuelle des dénominations. Le choix euphémique du mot « indemnité » répond à une schématisation appropriée : « aide » aurait présupposé que l’État vole au secours de Français impuissants ; « indemnité » les met en position haute tout en présentant la proposition de l’État comme adaptée : ils ont subi un dommage méritant une réparation juste. Enfin « inflation », fusionné à son substantif recteur par une construction de substantif épithète, qui suppose la fusion des deux entités, et donc la parfaite naturalité de la réponse, schématise à son tour avantageusement le réel : la hausse de l’énergie est un phénomène imprévisible ; l’inflation, au contraire, est une routine économique. Par sa proposition le gouvernement ne crée aucun précédent d’aide exceptionnelle : ethos toujours de phronèsis, voire d’arétè (« vertu » : il fait ce qu’il faut), mais pas d’eunoia (« bienveillance ») – qui serait peut-être le signe d’un « État-providence ». Malgré cela, malgré une insuffisance pointée par de nombreux détracteurs, « indemnité » reste axiologiquement positif et valorise les bénéficiaires : ça ne se refuse pas !