En couverture de Franc-Tireur n°26, surmontés du titre « Nupes : le miroir aux girouettes », un triste Yannick Jadot, un Fabien Roussel dépité et ahuri, un aimable Olivier Faure qui n’y voit que du feu, petit paradigme unifié par l’isotopie /représentant d’un parti politique de gauche/, se retrouvent face à une sucette qui, de sa tête de Jean-Luc Mélenchon à elle incorporée par métaphore-valise, leur tire la langue et les nargue. On comprend immédiatement que ces girouettes, en une métaphore iconico-verbale in præsentia, ils les sont. Et qu’il n’est vraiment pas loin, le marché de dupes – dupes, ce paronyme si proche de « Nupes », qui commence lui aussi par une consonne apico-alvéolaire voisée… De forts indices de délittéralisation évincent en effet d’entrée de jeu les /girouettes qui pivotent pour indiquer la direction du vent/ : ces objets ne se chassent pas. En revanche les /personnes changeantes/, si – par une métaphore diagrammatique figée, les girouettes suivent par nature la direction du vent comme les personnes changeantes acceptent par nature les choix qui se présentent à eux. Or le miroir aux alouettes évoqué par dialogisme grâce à la substitution, à « alouettes », de « girouettes », isorythmique et homéotéleute, fait de « Nupes » un stratagème de chasse (métaphore de nouveau, elle aussi in præsentia) – les trois hommes se laissent capturer comme de nigaudes alouettes, en pire encore : ils sont attirés et moqués, pour toute consolation, par une friandise d’enfant.
Étiquette : isotopie
« Macron saison 2. Il y pense en nous rasant »
.
Pour Libération le programme du candidat à la présidentielle française Emmanuel Macron tient en trois mots : audimat ; droite ; désenchantement.
C’est d’abord par une métaphore que Libération suggère une motivation commerciale en présentant comme une série de télévision soumise pour sa survie à l’approbation du public le second quinquennat auquel il postule : il serait plutôt un être de communication qu’un être d’action.
Ensuite, c’est par dialogisme qu’Emmanuel Macron est vu comme un être de droite : le titre de Libération évoque clairement (le mot est resté célèbre) Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, répondant le 20 novembre 2003 à Alain Duhamel lui demandant s’il lui arrivait en se rasant de pense à l’élection présidentielle : « Pas simplement quand je me rase ».
Enfin, grâce à ce dialogisme, il y a une triple syllepse (trois sens en discours) sur l’occurrence de se raser : le sens littéral (/couper au plus court les poils d’une surface du corps/) n’est qu’évoqué mais deux sens dérivés s’actualisent :
– l’un par métaphore (d’invention – la métaphore figée utilisant le verbe « tondre »), actualisé par pertinence en ces temps peu propices à la folie dépensière : le président mènera une politique d’austérité (comme on coupe les poils qui dépassent, il supprimera toute dépense inutile, voire récupèrera le plus qu’il peut de notre argent (notre « barbe ») ;
– l’autre par double litote (en un sens très vieilli, « raser quelqu’un » signifiait /guillotiner/, d’où cette autre litote : /importuner, ennuyer/) et actualisé par cohérence isotopique — Emmanuel Macron nous ennuiera, présentée à la presse en quatre heures la deuxième saison n’est pas prometteuse – l’audimat a rendu son verdict.
Le cirque Zemmour
Libération, 18 novembre 2021, p. 20
La caricature étant une hyperbolisation des traits distinctifs, on reconnaît Zemmour à ses sourcils fournis, à son visage en cône inversé, à ses oreilles grandes, à sa manie de regarder par en-dessous : tronqué, il émerge du bas du cadre et le haut de ses iris est coupé à hauteur de pupille par des paupières tombantes mi-closes. Il plisse le front. Qu’a-t-il donc en tête ?
Pour le savoir, ouvrons-la comme une boîte (par métonymie, le secret du cerveau est le siège des « pensées profondes »). Réponse : le contenu se réduit à un singe mécanique de cirque (stéréotype ici d’un spectaculaire avortement évolutif) qui répète incantatoirement (car telles sont les triplications) « haine », « haine », « haine », aucune progression ne venant réanimer un discours statique. Les icônes abstraites qui matérialisent son trajet montrent que le singe tourne en rond : stérile, obsessionnelle, courte, la répétition n’est qu’un piétinement. La mimique furibonde de sa face, son corps baveux (de rage, on imagine), isotopes avec « haine », réduisent la pensée secrète à une unique propriété : l’/agressivité/. Enfin, le singe ponctue sa marche de coups de cymbales, dont les onomatopées – avec un Z comme Zemmour… – « dzim » montrent l’effet sonore : métonymie du tapage. Voilà Zemmour pour la dessinatrice Coco : du bruit médiatique, un discours incantatoire qui tourne en rond, de la fureur primitive.
“Concours d’orbite”
Concours d’orbite ? Voilà qui ne veut rien dire. Cherchons donc une interprétation non littérale.
Autrement dit l’absence de sens, née de la jonction des deux mots « orbite » et « concours », fonctionne comme indice de délittéralisation.
La syntagmatique de « concours », comme le confirme une paronomase in absentia, renvoie à « concours de bite », ce qui est tout à fait pertinent du point du vue isotopique. D’une part « orbite » est [spatial], comme l’événement qui occupe l’actualité : la destruction d’un satellite, analogue à celui qu’on voit à l’arrière-plan, par la Russie – à laquelle fait immédiatement penser l’image de Vladimir Poutine, qui vient de son côté conforter l’isotopie/russe/. D’autre part l’étrange « concours » (qui n’est pas seulement inattendu mais contrefactuel : aucun autre pays n’est venu rivaliser pour savoir qui détruirait le mieux ses satellites) présente un sème [concurrence] qui entre en résonance avec l’image d’un dirigeant russe, sévère, figé dans une virilité de marbre, aux lunettes noires d’inquiétante huile de la mafia.
Et en filigrane dialogique le concours de bites, pratique qu’on imagine dans les toilettes d’une cour de récréation, inculpe encore et toujours, chez un dirigeant de la planète, la puérile émulation des mâles.
« Un voleur comme candidat et un escroc comme colistier »
En version originale, Bolsonaro dit de ses futurs adversaires à l’élection présidentielle de 2022, dans une allocution prononcée à Açalândia, qu’ils sont « um ladrão candidato a presidente e um vagabundo como vice ». Le « colistier » de la version française, c’est le vice-président pressenti du Brésil. La version française (journal de France Culture du 24 mai 2021) conserve les isotopies et les antithèses de l’original : comme « presidente » et « vice », « candidat » et « colistier » sont isotopes ; et la même double antithèse /honnête/ vs /malhonnête/, implicite dans les oppositions « ladrão » vs « presidente » et « vagabundo » vs « vice », se retrouve, avec seulement une inversion d’ordre, dans les oppositions « voleur » vs « candidat » et « escroc » vs « colistier ». Mais le français y ajoute encore, d’une part une gradation qui rend le second argument plus fort que le premier (l’escroc étant une forme raffinée, « technocratique », rusée du voleur), d’autre part une homorythmie et une connotation poétique : dans une prononciation courante, sont coordonnés deux heptasyllabes (ou hexamètres) : comme si les médias français cherchaient à présenter dans sa parole, ramassé dans une rhétorique enrichie, l’éthos bolsonarien non pas tant comme celui d’un homme de Verbe que d’un homme verbeux…
« Emmanuel Macron se rêve en Napoléon mais n’est au final qu’un Poutine de supérette »
Revue de presse internationale, France Culture, jeudi 6 mai 2021
La traduction française conserve les deux figures marquantes de cette diatribe publiée en ligne par Daniel Hannon sur le site du Daily Mail (« Emmanuel Macron, the new Napoleon? No, he’s a Poundland Putin ») : une métaphore (« Napoléon ») et une antonomase corrigée (« Poutine de supérette ») – l’allitération en « p » qui suggère que le Poutine macronien est de même essence que le commerce bas de gamme (la chaîne de magasins Poundland vend tous ses produits, comme l’indique son nom, pour 1 £) passe par contre à la trappe…
Napoléon et Poutine mis en paradigme invitent à une lecture isotopique, celle de la /soif de conquête/, grande ici ou réputée telle, petite là. La « supérette » française donne à Macron, encore moins digne que Poutine, le visage d’un commerce quotidien et riquiqui (le suffixe diminutif –ette venant encore enfoncer ce clou). L’antithèse entre « se rêver en » et « n’être que », opposant un conquérant bâtisseur et un dictateur « de supérette » (c’est plus méprisant encore que « d’opérette », qu’on entend à demi-mot…), épingle un possible déni de réalité de Macron, suffisant, pas du tout à la mesure de son modèle, n’en incarnant malgré son ambition démesurée que les aspects les plus contestables, bref : une baudruche (métaphore implicite).
“Fermer des lignes pour sauver la SNCF. Fermer des lits pour sauver l’hôpital. Fermer des classes pour sauver l’école. Que ce gouvernement ferme sa gueule pour sauver la France”
Photographie glanée sur Facebook, 10 janvier 2021
Ce slogan de manifestation énonce un raisonnement implicite (enthymème, c’est-à-dire syllogisme incomplet). On peut restituer ce raisonnement ainsi : pour sauver des institutions, par trois fois on a procédé à des fermetures du nécessaire service public (majeure explicite) ; si ça a marché trois fois, ça doit marcher encore (mineure implicite) ; pour sauver la France, il faudrait fermer quelque chose de nécessaire (conclusion explicite). La règle qui se dégage de la majeure est instituée par anaphore rhétorique (répétition du même segment linguistique). Cette répétition se produit aussi sur le plan sémantique : les trois premières phrases sont trois antithèses (saborder pour préserver), autrement dit trois paradoxes – qui parodient un éthos de stratège –, ce qui compose une isotopie rhétorique. La conclusion est alors étayée par une triple motivation : d’une part celle de l’insertion métaphorique (la France est une institution, le gouvernement lui est nécessaire), d’autre part celle de la syllepse (fausse identité entre les sens de « fermer » dans « fermer des lits » et « fermer sa gueule »), et enfin celle de l’anaphore (reprise de « fermer pour sauver »). Le raisonnement est bien sûr ad personam (procédé « diaphonique » dans la mesure où le discours d’autrui est retourné contre lui) : le manifestant valide la conclusion, mais non la stratégie illustrée par les fermetures. Son propre piège se referme sur le gouvernement…
Adieu aux vœux ?
Libération, 5 janvier 2021, p. 22.
Willem livre en ce début d’année un regard méta-discursif sur les vœux. Une métaphore de base préserve notre sol conceptuel : 2021 est une nouvelle étape sur le chemin du temps. Mais une double antithèse structure le dessin. D’abord, dans l’image, celle de l’extrême écart entre les générations : un vieillard qui arrêtera là son voyage pousse vers l’avant un garçonnet qui, consterné, commence le sien. Ensuite, entre le linguistique et l’iconique, l’absence totale dans la situation présentée par le dessin de quoi que ce soit d’euphorique qui puisse faire écho au souhait. L’avenir qui s’annonce pour 2021 ne promet qu’une vaste isotopie dysphorique, tout élément y évoquant par métonymie le drame actuel auquel il participe. Couple de pangolins ? Pandémie. Feu à l’horizon ? Amazonie en flammes. Avions larguant des bombes ? Guerres planétaires. Paquebots coulant, humains surnageant ? Noyade des migrants. Homme décapité ? Attentat islamiste. Etc. Ce monde n’est pas imaginaire, c’est le nôtre. Nous serons cet homme effaré qui s’agrippe à la falaise pour ne pas épouser le sombre avenir promis. L’ironie et le sarcasme ne sont pas loin : les bons vœux semblent purement phatiques.
Manu Militari
La tête carrée, les sourcils légèrement froncés, la bouche au repos, l’air préoccupé mais pas du tout affolé, Emmanuel Macron fait en une de Libération un splendide dictateur romain – ces magistrats auquel la République accordait les pleins pouvoirs pour une durée déterminée, souvent en cas d’urgence militaire. Une isotopie (et dans ce cas, un ancrage de l’image) relie la photographie et le texte, le journal commentant l’usage de l’article 49.3, annoncé samedi dernier par Édouard Philippe, pour couper court aux débats sur la réforme des retraites, par ces mots : « Manu militari ». L’usage d’une expression latine proverbiale permet à Libération de renvoyer dialogiquement à l’époque romaine et d’insister sur l’image sévère, et même dure, qu’il produit du président, en lui donnant d’austères ancêtres latins ; mais aussi, littéralement, cette expression critique la méthode forte employée : l’article 49.3 est constitutionnel certes, mais martial. L’essentiel est toutefois ailleurs. L’opportunité de l’expression vaut surtout par la syllepse sur « Manu » (la main en latin, mais Emmanuel Macron sur la photographie), qui coagule le personnage de Macron et l’emploi de la force. Ils sont de même aspect, plus intrinsèquement mêlés encore qu’un recto et un verso – une syllepse, c’est à la fois l’humour traditionnel de Libération et, argumentativement, une paronomase parfaite. Pis, c’est du Macron intime (diminutif « Manu ») que vient la poigne. Le « en même temps » emblématique du personnage se concentre en antithèse aux moments décisifs : un Macron abordable et humain, mais aussi inflexible et froid qu’une statue de marbre.
« Waouh, oui, oui, ouah, ouah, ouaf, ouaf »
Libération, 26 mai 2019
Le 26 mai 2019, Laurent Joffrin file le [wa] : dans l’inversion de la courbe du chômage, il détecte la recherche de l’« effet waouh » par un Emmanuel Macron sûr de l’« effet oui, oui » que cela produira sur ses soutiens face à l’effet « ouah, ouah » que cela produira sur l’opposition, et préservé par son sérieux de l’« effet ouaf, ouaf » : isotopie phonétique donc – et plus précisément double isotopie, l’une majoritaire, avec des mots monosyllabiques en [wa] et l’autre des mots monosyllabiques en [w], grâce à l’annexion du monosyllabe oui. Dans tous les cas, « effet » est construit avec une épithète non adjectivale, construction qui signale une activité communicante (elle relève d’un parler purement marketing affichant une expression synthétique censée faire mouche) efficace mais au fond bien superficielle. Dans tous les cas également, le sens est saisi par dialogisme : waouh, c’est l’expression anglophone – donc bien moderne – de l’admiration béate, d’où l’évaluation positive qui affecte par présupposition les résultats macroniens ; oui, oui, c’est le béni-oui-oui de l’obéissance aveugle des marcheurs ; ouah, ouah, ce n’est rien d’autre qu’une agressivité de chien qui pénalise par métaphore implicite l’opposition telle que Macron, selon Laurent Joffrin, la voit ; et enfin ouaf, ouaf, c’est la caricature quasi conventionnelle d’un rire moqueur (le ridicule tue). La paronomase qui unit ad hoc en paradigme discursif ces réactions opposées à une réussite macronienne les soude en une seule réalité anticipée, comme s’il y avait à la source une seule manœuvre intrinsèquement conçue comme une opération liée à la communication et que l’action, dans la perspective macronienne, était congénitalement liée à sa promotion et à sa défense sur la scène publique.
Crédits photo : BALTEL/SIPA