…une France qui se lève aux aurores chaque jour… (Gabriel Attal, Assemblée nationale, 23 janvier 2024)
Je ne serai pas que la ministre des vernissages, des expositions et des spectacles (Rachida Dati, Festival d’Angoulême, 27 janvier 2024)
Ce n’est pas d’aujourd’hui que se pratique dans le discours politique la citation implicite, appropriée et plus ou moins aménagée, mais ce début d’année nous en donne quelques beaux exemples. Cette reprise non explicite recherche différents profits. D’abord, elle a de bonnes chances d’être remarquée par les médias, qui vont donc la reprendre et la faire circuler comme « petite phrase ». Ensuite, elle est construite à partir d’un patron et bénéficie par conséquent des qualités formelles qui ont déjà fait le succès de la phrase originelle. De surcroît, elle permet d’espérer le partage de la légitimité de l’auteur de celle-ci. Enfin, comme la métaphore, son caractère implicite laisse à ceux qui l’entendent le soin de la reconnaître et de l’interpréter, ce qui génère une sorte de connivence entre eux et l’auteur de la reprise.
Ainsi Aurore Bergé est-elle bien en phase avec ce que la plupart des observateurs ont qualifié de droitisation du macronisme, en reprenant la phrase attribuée à Georges Pompidou mettant en garde en 1966 son chargé de mission Jacques Chirac (Il faut arrêter d’emmerder les Français !), reprise et aménagée par François Fillon en 2016 (Que l’Etat arrête de nous emmerder !), puis par Emmanuel Macron lui-même en 2022 (Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français). Les suites des propos pompidolien et filloniste montrent clairement que les responsables desdits emmerdements sont les lois, les règlements, les normes, les charges, les impôts. La forme pour le moins familière, pour ne pas dire vulgaire, tant de la citation originelle que de ses reprises, est censée attester la sincérité de leurs auteurs et leur solidarité avec les victimes présumées : il y a donc politisation, le repreneur se plaçant du côté de celles-ci contre les coupables de réglementation, de législation et d’imposition. Laissez-nous travailler !, ajoutait François Fillon, mettant ce qu’un certain jargon contemporain dénomme la valeur travail du côté des victimes, et donc du sien.
Il en va de même de Gabriel Attal, qui reprend dans une forme un peu plus poétique la célèbre formule de Nicolas Sarkozy, en visite à Rungis en 2007, disant venir à la rencontre de la France qui se lève tôt. Marine Le Pen s’était déjà approprié l’expression en 2017, se présentant comme la candidate de la France qui se lève tôt. Le nouveau premier ministre ajoute, lui, que cette France qui se lève aux aurores est celle qui travaille. La mobilisation de la figure de l’aurore, phénomène naturel, vise à mettre les paysans, et donc lui-même, du côté opposé à ce qui serait artificiel, voire contre-nature.
Quant à Rachida Dati, elle cherche probablement à préempter un peu de la légitimité de Charles de Gaulle qui, en 1965, se demandait ironiquement Qui a jamais cru que le général de Gaulle étant appelé à la barre devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes, reprenant une expression oubliée de son prédécesseur Emile Loubet. L’auditeur angoumoisin aura peut-être entendu cette « petite phrase » comme dans une bulle… Mais dans le même temps, la nouvelle ministre de la Culture marque son territoire, confortant son image de forte personnalité et surtout se distanciant de tout ce qui est officiel et protocolaire, pour se placer du côté de l’action et du travail. Est-ce ce que veut dire Pierre Charon lorsque, selon Ariane Chemin dans Le Monde du 19 janvier 2024, il parodie Michel Audiard dans Les Tontons flingueurs en lançant :
Rachida ose tout, c’est même à ça qu’on la reconnaît !