Libération, 6 avril 2021, p. 10.

Sur ce cliché pris le 22 mars, le décor métonymise une certaine douceur de vivre, comme pour prouver qu’elle n’a pas disparu, ou que son rétablissement est souhaitable : ce serait là « l’Avenir français » que promet et promeut l’affiche derrière Marie Le Pen. Souriante, elle est accoudée à une table qui évoque un bistrot parisien – à la fois réduction du monde extérieur et tanière d’habitués –, avec à portée de main un verre ballon parfait pour un apéro en tête-à-tête. On s’y laisserait prendre. Mais la photographie de Libération révèle la mise en scène. On peut parler de message méta-photographique dans la mesure où certains des procédés codés de la photographie sont dévoilés : d’abord, sur la gauche, la mitraille attendue des objectifs, normalement hors-champ ; ensuite, à la droite, l’ombre portée à l’arrière-plan qui révèle un très artificiel projecteur aux pieds de Marine Le Pen. L’image, très contrastée, exhibe un travail plastique. On n’y croit plus. D’autant que le texte insiste : Marine Le Pen « se glisse », autrement dit revêt intentionnellement, comme elle le ferait d’un costume de théâtre, telle apparence extérieure (« se glisser dans » sélectionnant ce sens du polysème peau). Pour finir, le calembour sur « banale » (du fait de « glisser » dans une « peau ») convoque dialogiquement un énoncé subliminal : la rédaction suggère (désire, peut-être) que la banalisation de l’extrême droite pourrait ne pas tourner à son avantage, Marine Le Pen glissant sur une peau de banane. Le comique comme barrage à la tragédie ? Ou une manière d’encourager les lecteurs à ne pas glisser avec elle ?