Samedi 29 mai 2021, sur la place de la République, les policiers qui tentaient d’identifier les personnes ayant accroché une banderole « Vive la Commune » pour l’anniversaire de cette révolution ont été repoussés aux cris d’« À bas les versaillais ! ». Cette interjection forme avec « Vive la Commune ! » un couple antithétique. Il s’agit de porter aux nues un idéal politique (ou du moins, en l’occurrence, d’accrocher le plus haut possible la banderole qui le célèbre), tout en mettant à terre les représentants d’un pouvoir oppresseur et potentiellement répressif. Le parallélisme de construction rend plus visible l’opposition entre la Commune – mouvement puis gouvernement en faveur d’institutions authentiquement démocratiques et sociales –, entité pensée au singulier comme fédératrice, et le pluriel « les versaillais », que l’absence de majuscule distingue du gentilé désignant les simples habitants de Versailles : « versaillais » renvoie aux partisans (en armes ou non) du gouvernement et de l’Assemblée nationale réfugiés dans la ville des rois tandis que s’organise à Paris un gouvernement du peuple. Déjà en 1871, lorsque Pinola Gandolphi ou Alfred Dupupet s’étaient exclamés « À bas les versaillais », l’invective avait été retenue à charge. 150 ans plus tard, elle actualise par analogie les rapports de force historiques qu’ont éclairés par ailleurs – à des fins pédagogiques et/ou militantes – expositions, débats et manifestations commémoratives. La Commune et les tensions qu’elle suscite restent bien vivantes.
Étiquette : parallélisme
« Libérer et protéger »
(Emmanuel Macron, Twitter, 5 septembre 2017, puis Le Grand Entretien, 15 octobre 2017)
Ces deux verbes semblent résumer désormais le programme macronien. Que la locution adverbiale « en même temps », souvent employée par l’ex-candidat et actuel Président de la République pour développer la très polysémique conjonction de coordination « et », soit si souvent raillée n’a pas conduit La République en Marche à y renoncer. Au contraire, ses militants vont jusqu’à réduire cette structure à ses deux noyaux verbaux (« libérer » et « protéger »), en emploi absolu, c’est-à-dire sans leurs compléments, jouant à la fois sur l’implicite – comme si ces derniers étaient connus de tous – et l’accentuation de leurs significations – comme s’il s’agissait de « libérer » et de « protéger » au sens le plus fort de ces verbes.
« La société que je veux sera à la fois libérée des carcans et des blocages et protectrice des plus faibles » : la profession de foi d’Emmanuel Macron aux premier et second tours de l’élection présidentielle en disait pourtant davantage, même si certains éléments relevaient déjà de l’allusion, passant notamment sous silence les catégories sociales concernées. D’abord, les deux segments coordonnés ont quelque chose d’asymétrique : d’un côté, un complément non animé, relativement indéterminé (« des carcans et des blocages », mais lesquels ?), de l’autre, un complément humain, réduit à une caractéristique à connotation plus affective que sociale (« les plus faibles »). Ensuite, le parallélisme suggère en creux que les deux verbes ne renvoient pas aux mêmes populations – « les plus faibles » évoquant immanquablement « les plus forts » – tandis que le contexte proche confirme l’identité des bénéficiaires de la liberté. « Libérer le travail et l’esprit d’entreprise », lit-on plus loin dans la profession de foi, où « l’esprit d’entreprise » vient encore renforcer le sens pris ici par « travail » : ce ne sont pas les travailleurs qu’il s’agit ici de libérer, mais bien ceux qui les emploient, les entrepreneurs. Enfin, la polysémie de la coordination « et » appelle des interprétations diverses, même si Emmanuel Macron s’efforce de les restreindre à la simultanéité par le biais de la locution « en même temps ». L’ordre des verbes donne en effet quasi systématiquement la priorité à la « liberté », ce qui tend à conférer à « et » d’autres valeurs : la consécution, la conséquence ou la finalité – libérer les plus forts, « et dans un second temps », « par conséquent » ou « en vue de » libérer les plus faibles – mais aussi la concession – libérer les plus forts, et « néanmoins » protéger les plus faibles, comme si la liberté des uns constituait une menace pour les autres…
« Libérer et protéger » : pour qui sait repérer les effets de structure et de résonance, ces trois petits mots en disent bien plus long qu’il n’y paraît sur les priorités gouvernementales et la division de la société qui les sous-tend…
Sylvianne Rémi-Giraud et Chloé Gaboriaux
Crédits photo : DAMIEN MEYER/AFP/Getty Images
« je préférerai toujours mon pays à mon parti »
(Thierry Solère, Europe 1, 25 mai 2017)
À quelle échelle mesurer la fidélité ? La question ne cesse de se poser depuis que, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, Manuel Valls a déclaré avoir choisi, en soutenant Emmanuel Macron, « [s]on pays plutôt que son parti ». Une formule devenue un véritable mot d’ordre, à l’heure où socialistes et membres des Républicains rallient en nombre le nouveau gouvernement : Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Bertrand Delanoë, Thierry Solère ont proposé une série de variations sur ce thème, en modulant l’opposition (« J’ai choisi mon pays plutôt que mon parti », « Plus que le parti, il y a le pays » ; « Je préférerai toujours mon pays à mon parti »). L’effet slogan est ménagé dans tous les cas par le parallélisme, la reprise des sonorités (allitérations et assonances en position stratégique) et l’antithèse, qui introduit une différence de qualité entre les réalités désignées : l’adhésion partisane et l’appartenance patriotique. L’argument, à visée autojustificatrice, peut paraître faible ; difficile pourtant de le parer : si l’on a reproché à Albert Camus de préférer sa mère à la justice ‒ c’est-à-dire l’individuel à l’universel, le sentiment filial aux valeurs abstraites ‒, on peut difficilement critiquer quelqu’un qui dépasse les querelles de chapelle pour se mettre au service de la communauté…
Crédits photo : Frédérique Stucin
« Chez nous, […] pas de débauchage, pas de marchandage, pas de parachutage »
Valérie Pécresse, Parc floral du bois de Vincennes, 20 avril 2017
Que le nouveau premier ministre soit issu des rangs LR n’incite pas Valérie Pécresse à se mettre dans le sens de la marche ; au contraire, elle oppose la stratégie adoptée par son parti en vue des législatives à celle de LRM : « Chez nous, […] pas de débauchage, pas de marchandage, pas de parachutage ». V. Pécresse recourt à des procédés éprouvés : le parallélisme de construction allié à l’homéoptote (reprise de sonorités identiques en fin de segment) dessine un rythme ternaire qui renvoie l’adversaire à une accumulation de vices. Mais cette formulation se retourne contre l’oratrice, qui oublie que les conseillers en communication proscrivent l’utilisation de tournures négatives – surtout en tête de proposition. Non seulement elles peuvent complexifier la compréhension du message, mais elles tendent à le renverser : de cette définition en creux qui semble dénoncer un manque chez Les Républicains, l’auditeur retient au mieux les mots « débauchage », « marchandage », « parachutage », qu’il est tenté d’associer inconsciemment à la locutrice. Pour avoir voulu tirer les ficelles de la rhétorique, V. Pécresse se retrouverait-elle prise dans ses rets ?
« Ni Marine, ni Macron, ni patrie, ni patron »
(Slogan lu et entendu lors des manifestations du 27 avril 2017)
Dans la forme, le slogan est joliment construit. Au sein de l’anaphore générale (une quadruple répétition de ni qui donne à l’ensemble un rythme particulièrement bien adapté à son usage oral), la double allitération des /m/ et des /p/, combinée à la quadruple assonance /a-i-a-on/, produit un effet de parallélisme par une structure en miroir. Celle-ci semble suggérer une symétrie entre les deux candidats (même si l’un est désigné par son nom et l’autre par son prénom), caractéristique du mot d’ordre « ni-ni », porteur d’un refus de choix entre deux options réputées comme équivalentes, et donc d’un encouragement à l’abstention ou au vote blanc ou nul. Mais à y regarder de plus près, la sélection des deux mots considérés comme emblématiques (patrie et patron) de chacun des deux candidats rompt la symétrie. En effet, si Marine Le Pen se dit elle-même porte-parole du camp des patriotes, Emmanuel Macron se garde bien de se présenter comme celui du camp des patrons, étiquette que certains de ses adversaires veulent lui attribuer. Tant il est vrai qu’un « ni-ni » n’est pas toujours aussi équilibré qu’il y paraît.
« Le vote utile, c’est un vote futile »
François Asselineau, France 2, 17 avril 2017
La structure « X, c’est Y », souvent exploitée en politique, permet de poser tantôt une équivalence frappante, tantôt de souligner une opposition sur le mode du paradoxe (« le bien, c’est le mal »). Un effet que François Asselineau renforce au moyen d’un parallélisme et d’une paronomase, lorsqu’il affirme que « le vote utile […] est un vote futile ». Proches par leurs sonorités, les adjectifs « utile » et « futile » possèdent en effet des significations antithétiques. Contrairement à d’autres épithètes accolées au mot « vote » (« blanc », « nul », par exemple), « utile » a une valeur adverbiale : « voter utile », c’est voter « utilement », c’est-à-dire de manière stratégique, en suivant les sondages. Une stratégie qui pénaliserait les « petits » candidats, comme celui de l’Union populaire républicaine. Ayant dissipé la croyance dans l’efficacité du « vote utile », ce dernier réaffirme la consistance de ses propres objectifs : « Les électeurs français, dans leur majorité, veulent de la solidité, de l’honnêteté, de la compétence. Ils en ont assez des formules marketing ». Celle qui aboutit à cette conclusion n’en est donc pas une ?
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« Nous, quand on est convoqués, on n’a pas d’immunité ouvrière »
Lors du débat entre les 11 candidats à l’élection présidentielle, Philippe Poutou fait sensation en attaquant Marine Le Pen sur son refus d’obtempérer à la convocation des juges. Alors que la favorite des sondages ironise sur son légalisme inattendu, le candidat révolutionnaire répond du tac au tac en opposant l’ “immunité parlementaire” de la députée européenne à l’introuvable “immunité ouvrière” derrière laquelle ses camarades ne sauraient s’abriter. Cette dernière n’existe pas en droit mais naît en discours d’un défigement qui, substituant l’adjectif “ouvrière” à celui, attendu, de “parlementaire” (ou “diplomatique”), joue du parallélisme des formes pour souligner l’inégalité de fond : en reprenant la construction “immunité” + adjectif, en jouant sur l’homéotéleute qui fait rimer “-aire” avec “-ère”, le porte-parole du NPA exhibe une nouvelle fois l’insupportable différence de traitement qui sépare les travailleurs des élus, fussent-ils “anti-système”. Le choix du “nous” fait le reste : face à Marine Le Pen, visée par un argument ad personam, les ouvriers font certes corps mais pour revendiquer avant tout la loi commune. Serions-nous tous des prolétaires ?
Crédits photo : POL EMILE/SIPA
« je ne suis l’héritier de rien, je suis l’héritier de vous »
Jouant une nouvelle fois la carte de l’indépendance, Emmanuel Macron a déclaré lors d’un meeting à Marseille : « […] je ne suis l’héritier de rien, je suis l’héritier de vous, je suis l’héritier de votre confiance, je suis l’héritier de votre énergie, de votre envie, de notre avenir ! » Rhétorique ou maladresse ? Le solécisme, corrigé par la presse ‒ « je ne suis l’héritier de (rien d’autre) que vous » ; « je ne suis l’héritier de rien, si ce n’est de votre confiance », reformulent Le Figaro et Le Monde ‒ participe d’une antilogie : dans l’exclamation, le second segment contredit le premier, sur le modèle duquel il est construit à la faveur d’un parallélisme. E. Macron répond à ceux qui font de lui le successeur de la politique hollandienne – à laquelle il a contribué ‒ et un représentant des élites, c’est-à-dire un héritier, au sens où l’entendaient Bourdieu et Passeron (fils de médecins, Macron a fréquenté des établissements d’enseignement prestigieux avant de devenir banquier d’affaires chez Rothschild & Cie). L’orateur espère gommer cet aspect biographique et valoriser un autre type d’héritage, collectif celui-là. Il échoue pourtant à imposer cette interprétation, en martelant le mot « héritier » plutôt que celui ‒ moins personnalisant ‒ d’« héritage », valeur partagée à gauche comme à droite. Ce faisant, Macron conforte son identification aux puissants, dans une phrase qui ‒ par une équivalence malheureuse ‒ associe en outre ses partisans au « rien ». Si l’héritage revient à Macron, que reste-t-il aux siens ?
Crédits photos : Thomas Trutschel
« Il pourfendait les ‘pères la rigueur’ qui – on le sait maintenant – ne sont pas toujours des parangons de vertu »
(François Hollande, hommage à Henri Emmanuelli, 25 mars 2017)
François Hollande, qu’Arnaud Montebourg avait jadis taxé, par une périphrase, de « Père la rigueur », s’identifie à Henri Emmanuelli, auquel il rend un dernier hommage : si son ancien camarade a été contraint de prendre des mesures restrictives en matière d’économie, ce choix conjoncturel a été guidé par une volonté d’équité ; il ne l’a pas empêché de « pourfend[re] les “pères la rigueur” qui – on le sait maintenant – ne sont pas toujours des parangons de vertu ». Par l’incise où il désigne implicitement François Fillon ‒ signalé dans le trio comme le véritable rigoriste ‒ le Président inverse l’équivalence attendue entre « pères la rigueur » et « parangons de vertu ». L’antithèse joue sur l’effet de parallélisme pour caricaturer Fillon et l’identifier à une qualité prise en mauvaise part (« père » répond à « parangon » jusque dans les sonorités, « rigueur » fait écho à « vertu »). Le pluriel contredit pourtant l’exceptionnalité du candidat LR, en signalant qu’il n’est qu’un avatar d’un type que les socialistes ont toujours su démasquer… La double antonomase lui coûte sa position : le bon père de famille s’avère un mauvais compère ; entré en Monsieur dans l’arène politique, il s’y trouve dégradé, victime d’avoir voulu devenir populaire.
Merci à Yannick Chevalier de m’avoir accompagnée sur le praticable.
« La seule façon de sauver la gauche, c’est de tuer Fillon »
(François Fillon, meeting de Biarritz, 24 mars 2017)
Les Guignols, qui raillaient jadis le fait que l’acteur Alain Delon parle de lui à la troisième personne, peuvent désormais attribuer ce trait à la marionnette de François Fillon. Ce dernier déclarait en effet le 24 mars dernier : « La seule façon de sauver la gauche, c’est de tuer Fillon ». L’énallage du pronom personnel sert ici la dramatisation du propos : Fillon se pose doublement en victime, puisqu’il est à la fois le sujet et l’objet du discours. En les prenant à son compte, il semble mimer les propos de ses adversaires, comme dans une citation. La construction joue enfin sur un effet parallélisme (« sauver » équivaut à « tuer ») couplé à une opposition (« la gauche » ‒ et plus précisément, dans l’esprit de l’orateur, le Président Hollande ‒ a fait de Fillon sa cible). Par ce dédoublement, Fillon se grandit ; il manifeste ce que l’on a nommé « le syndrome d’hybris » (ou « maladie du pouvoir »). En laissant penser que « je est un autre », ne suggère-t-il pas aussi que ce n’est pas lui le coupable ?