(L’Essor de la gendarmerie nationale, 23 septembre 2020).
La commission d’enrichissement de la langue française publie le 15 septembre 2020 dans le Journal Officiel les équivalents français qu’elle propose pour « black bloc » et « blacks bloc » – L’Essor de la gendarmerie nationale l’écrit ainsi, mais on trouve plus couramment les graphies blacks blocs (accord français) et black blocs (accord anglo-saxon) – : respectivement « bloc noir » et « cagoules noires ». Il s’agit de dénommer, pour le premier, les groupes indépendants d’individus vêtus de noir dans les manifestations, pour le second les membres de ces groupes – la couleur noire, préservée dans l’expression, renvoie aux libertaires qui masquent leurs identités et leurs différences (d’âge, de sexe, etc.) en ne formant qu’un grand drapeau noir. Black ou noire, cette couleur est un énantiosème (elle a deux sens antithétiques) et renvoie aussi bien à des groupes explicitement non violents qu’à des groupes violents.
Mais le français part quand même avec un double handicap.
D’abord il est dépensier, sans en qu’on voie bien la raison. Si l’anglais use d’un seul et même terme, c’est parce que la dérivation métonymique de l’ensemble à ses membres se comprend naturellement (avantage de la motivation rhétorique) et lui permet l’économie. Pourtant la commission française choisit deux termes distincts, pour le premier un calque linguistique, pour le second une métonymie vestimentaire qu’on peut trouver un peu vieillotte (on connaît les cols blancs, les chemises brunes, la calotte, les bérets verts, etc.)
Et surtout, en anglais « black bloc » illustre exemplairement la « fonction poétique » : une triple isotopie phonétique frappe l’oreille, isole en une paire minimale le contraste des deux voyelles a et o. En regard, le rigoureux arbitraire de « bloc noir » est rhétoriquement pauvre, sinon vide.