L’hebdomadaire régional La Renaissance tire sa une du 9 avril 2021 du néologisme de forme choisi par le Conseil Départemental : « Vacci’bus » ; en distribution complémentaire, un variant « VacciCar » circule dans d’autres départements que la Saône-et-Loire mais il est minoritaire (plus respectueux des normes traditionnelles du français mais un peu éloigné des usages réels, il relève sans doute d’un lecte usurpateur – la norme contrariant l’usage). Apparus il y a à peine un mois, les deux mots-valises s’assurent une transparence en arborant la même motivation morphologique. Par le premier composant, apocope de vaccination, ils travaillent à rendre simple et presque agréable une obligation un brin rebutante : de même que télé ou Libé révèlent que la télévision et le journal Libération font partie des familiers, de même que la Manif pour tous, quoi qu’on en pense réellement, prétend en être, de même la vaccination devient l’amie « vacci » – l’apostrophe de la variante choisie dans ce département de la Bourgogne rendant même cette proximité guillerette. Quant au choix de bus plutôt que de car, d’une part il permet à « vacci’bus » d’empocher connotativement, par analogie et par immersion dialogique, le crédit de sérieux associé aux terminaisons latines ; et d’autre part il suit un usage qui tend à s’imposer (ce néologisme de sens emboîtant sans doute le pas à l’anglais) dans lequel bus, neutralisant l’opposition sémantique intra- vs extra-urbain, devient un hyperonyme pour les hyponymes bus et car : le « vacci’bus », dit La Renaissance, circule de village en village et dispense performativement à des Français potentiellement méfiants, avec sa promesse de bonne santé, une disposition favorable à l’égard de la politique sanitaire de l’État.
Étiquette : néologisme de sens
Universités. UNE RENTRÉE EN DÉMERDENTIEL
(une de Libération, 16 septembre 2020)

« Démerden Sie sich » : le néologisme de forme en une de Libération,« en démerdentiel » rejoint la tradition linguistique consistant à tourner en dérision, en les parodiant, les discours oppressifs et dénonce un divorce entre les subtilités théoriques de la recherche pédagogique (-tiel) et le peu de cas qui est fait des conditions pédagogiques pratiques (démerd-).
La création, transparente, repose sur une motivation morphologique puisque le néo-dérivé prend pour base la forme verbale démerd-, que tout Français interprète comme un équivalent familier de « se débrouiller », et pour suffixe –tiel, présent dans le couple en vogue des antonymes en présentiel/en distanciel.
Ces antonymes ne sont pas apparus ensemble. En présentiel a longtemps vécu seul, signifiant « en présence à distance », par exemple par visioconférence, c’est-à-dire exactement la même chose qu’aujourd’hui en distanciel. L’apparition de celui-ci a donc été contemporaine d’un néologisme de sens affectant en présentiel qui s’est mis à signifier exactement le contraire de ce qu’il signifiait jusque-là.
Quasi inévitable en ces temps d’épidémie dès que l’on parle d’enseignement, l’opposition a une forte connotation didactique : le virus interdit les formes traditionnelles d’enseignement, mais on évolue, n’est-ce pas, on s’adapte, et heureusement la didactique nous a trouvé des équivalents. -tiel, suffixe adjectival, rappelle qu’on ne parle pas de choses mais de « modes » – « mode présentiel », « mode distanciel ». La présence et l’absence, en fait l’absence surtout, sont par là déliées des conditions concrètes de participation.
Il y a comme une idéologie implicite sous ces mots, semble dire Libération : nos dirigeants font mine de croire que l’apprentissage est avant tout une question de capacités cognitives et que peu importe le moyen par lequel on les atteint. Le mépris n’est pas loin. Professeurs absents ou présents dans le même espace, qu’est-ce que ça change au fond ? Comme si le ministère disait : « Désintéressons-nous des moyens. L’intendance suivra. »