L’hebdomadaire régional La Renaissance tire sa une du 9 avril 2021 du néologisme de forme choisi par le Conseil Départemental : « Vacci’bus » ; en distribution complémentaire, un variant « VacciCar » circule dans d’autres départements que la Saône-et-Loire mais il est minoritaire (plus respectueux des normes traditionnelles du français mais un peu éloigné des usages réels, il relève sans doute d’un lecte usurpateur – la norme contrariant l’usage). Apparus il y a à peine un mois, les deux mots-valises s’assurent une transparence en arborant la même motivation morphologique. Par le premier composant, apocope de vaccination, ils travaillent à rendre simple et presque agréable une obligation un brin rebutante : de même que télé ou Libé révèlent que la télévision et le journal Libération font partie des familiers, de même que la Manif pour tous, quoi qu’on en pense réellement, prétend en être, de même la vaccination devient l’amie « vacci » – l’apostrophe de la variante choisie dans ce département de la Bourgogne rendant même cette proximité guillerette. Quant au choix de bus plutôt que de car, d’une part il permet à « vacci’bus » d’empocher connotativement, par analogie et par immersion dialogique, le crédit de sérieux associé aux terminaisons latines ; et d’autre part il suit un usage qui tend à s’imposer (ce néologisme de sens emboîtant sans doute le pas à l’anglais) dans lequel bus, neutralisant l’opposition sémantique intra- vs extra-urbain, devient un hyperonyme pour les hyponymes bus et car : le « vacci’bus », dit La Renaissance, circule de village en village et dispense performativement à des Français potentiellement méfiants, avec sa promesse de bonne santé, une disposition favorable à l’égard de la politique sanitaire de l’État.
Étiquette : motivation morphologique
« HOMARDGATE // RUGY // MI-CUIT »

Le vendredi 12 juillet 2019, alors que François de Rugy est soupçonné de profiter des fonds publics pour s’assurer un train de vie luxueux, Libération consacre sa une à l’affaire – devenue médiatiquement emblématique – de la mise de homards bleus au menu de dîners officiels, et titre sur trois lignes : « HOMARDGATE // RUGY // MI-CUIT ». Dans cet énoncé, les innovations stylistiques résident dans le timide calembour qui affleure sous Rugy (qui ressemble à « rougi », couleur qui témoigne de la cuisson des homards), et dans la remotivation d’une métaphore éteinte (la cuisson représentant une transformation irréversible qui conduira à la perte des avantages). Mais le mot le plus voyant, « HOMARDGATE », n’est pas une forgerie propre à Libération. On le trouve dans des blogs ou sur Tweeter, précédé d’un hashtag qui lui confère précisément le statut d’expression partagée et à partager, et doté d’une capitale centrale qui signale la composition morphologique du mot (« #HomardGate »). Dépourvu de hashtag et neutralisant l’opposition de casse du fait de l’utilisation exclusive des capitales dans les titres mis en une, le « HOMARDGATE » de Libération du vendredi 12 (car dès le lendemain le mot apparaît sous la forme « #HomardGate » dans un article du même journal) n’est qu’une reprise partielle d’un néologisme qui circule dans un grand nombre de communautés discursives et qui exploite un procédé ayant déjà lui-même une longue histoire. Depuis le « Watergate » de 1974 (scandale politico-médiatique ayant poussé Richard Nixon à démissionner de la présidence des États-Unis), « gate » est devenu en anglais un suffixe marquant un « scandale public provoqué par des révélations subites », et la motivation morphologique s’est depuis mondialisée : tout comme le « Monicagate » a pu désigner le scandale qui a frappé Bill Clinton lors de la découverte de sa liaison avec Monica Lewinsky, le « Penelopegate » a récemment désigné le scandale déclenché autour de François Fillon suite à des soupçons de fraude, notamment l’attribution à son épouse d’un emploi fictif. Loin de se singulariser, Libération rejoint une série rhétorique dont l’objet est ce que Barthes appelait l’« institution du réel » : le baptême collectif de l’affaire Rugy la fait entrer dans la série des événements décisifs.