
Le nouveau slogan d’Emmanuel Macron dit « Nous tous / Emmanuel Macron avec vous », au lieu du « Avec vous », qui figurait sur ses affiches électorales. Figurant sur les prospectus que doit recevoir chaque électeur chez lui, dans son espace privé, en tête à tête avec l’actuel président, il nous place, par ce même euphémisme récemment repéré dans le discours du même, en situation d’échange chaleureux et familier. La mise en scène, d’abord, confronte par son regard caméra à un « contact Y-Y » (les yeux dans les yeux). Ensuite, la bienveillance de ce dialogue intime y est signifiée par son inclinaison de tête (l’image nous transmettant les signes dits « posturo-mimo-gestuels »). Et enfin, le clitique personnel de 1re personne du pluriel « nous » suggère la très désirable, et pourtant impossible, co-énonciation de lui et de son électorat, c’est-à-dire qu’elle présuppose leur accord sans réserve.
La configuration plastique qui superpose les deux mots écrits fait ressortir leur quasi isographie : même nombre de lettres, dont trois en commun, dans le même ordre, à la même place – parenté qui produit le même effet que les paronomases (ils vont bien ensemble, car qui se ressemble s’assemble). Par contre on ne peut s’empêcher de voir dans ce slogan un indice de la « conciliation des contraires » revendiquée par le candidat et dans laquelle on peut déceler aussi bien un compromis qu’une contradiction. Emmanuel Macron a émaillé tous ses discours oraux de « chers tous et toutes » où « tous » signifie /pas vous, les femmes/, mais le voilà qui signifie dans le slogan /vous aussi, les femmes/. Cette « disruption » sûrement voulue suggère ceci : une analyse polylectale qualifierait l’écriture inclusive de lecte récessif et relierait l’orthographe traditionnelle à un lecte dominant (vu comme usurpateur par les féministes). Or le genre discursif du programme, par définition, s’appuie sur les valeurs les plus partagées, et même les sollicite et les conforte – en termes rhétoriques, il est épidictique. En pratique, ces « valeurs partagées » sont précisément ce que défend la politique attendue d’un chef d’État – que ceux qui auraient pu croire, s’il y en a, que LREM est révolutionnaire soient donc rassurés !