En couverture de Franc-Tireur n°26, surmontés du titre « Nupes : le miroir aux girouettes », un triste Yannick Jadot, un Fabien Roussel dépité et ahuri, un aimable Olivier Faure qui n’y voit que du feu, petit paradigme unifié par l’isotopie /représentant d’un parti politique de gauche/, se retrouvent face à une sucette qui, de sa tête de Jean-Luc Mélenchon à elle incorporée par métaphore-valise, leur tire la langue et les nargue. On comprend immédiatement que ces girouettes, en une métaphore iconico-verbale in præsentia, ils les sont. Et qu’il n’est vraiment pas loin, le marché de dupes – dupes, ce paronyme si proche de « Nupes », qui commence lui aussi par une consonne apico-alvéolaire voisée… De forts indices de délittéralisation évincent en effet d’entrée de jeu les /girouettes qui pivotent pour indiquer la direction du vent/ : ces objets ne se chassent pas. En revanche les /personnes changeantes/, si – par une métaphore diagrammatique figée, les girouettes suivent par nature la direction du vent comme les personnes changeantes acceptent par nature les choix qui se présentent à eux. Or le miroir aux alouettes évoqué par dialogisme grâce à la substitution, à « alouettes », de « girouettes », isorythmique et homéotéleute, fait de « Nupes » un stratagème de chasse (métaphore de nouveau, elle aussi in præsentia) – les trois hommes se laissent capturer comme de nigaudes alouettes, en pire encore : ils sont attirés et moqués, pour toute consolation, par une friandise d’enfant.
Étiquette : homéotéleute
« Il n’y a pas de fatalité, ni au grand déclassement, ni au grand remplacement »
Valérie Pécresse en meeting le 13 février 2022
L’emprunt dialogique est patent : nom d’une thèse complotiste initialement tenue, en 2010, par Renaud Camus, d’où son sens spécifique /substitution programmée en Europe d’une population « étrangère » à une population « de souche »/, l’expression « grand remplacement » s’est surtout répandue dans certains courants de l’extrême droite, sans avoir d’ailleurs de véritable droit de cité avant 2021 (où elle a été « labellisée Éric Zemmour ») : en la reprenant Valérie Pécresse, qu’elle le veuille ou non, rallie son discours à cette tendance politique. Mais en outre elle en accrédite la thèse : l’article défini (« au » est la contraction de « à le ») est porteur d’un présupposé d’existence – voilà donc ce « remplacement » reconnu par elle dans sa réalité.
On peut supposer que par la coordination le premier syntagme (« ni au grand déclassement »), calque de même morphologie que le second, homorythmique et homéotéleute, cherche à le minimiser en le dissolvant dans un tout et en le faisant bénéficier de son passe-droit et de son éventuelle vertu euphémisante (on ne peut qu’être d’accord avec la légitimation d’un manque général de pouvoir d’achat) : amalgame donc.
Qui a aussi un peu de mémoire – cette fois-ci « auto-dialogique » – rapproche ce « remplacement » d’un autre emprunt récent (5 janvier 2022) de la candidate voulant ressortir de sa cave le « Kärcher » que Nicolas Sarkozy, le 16 juin 2005, avait métaphoriquement promis d’utiliser dans les banlieues. Entre ces deux occurrences, la rhétorique permet de constater une gradation entre deux termes argumentativement co-orientés vers des options dites « de droite », et donc de repérer dans le discours une escalade droitière…
« Direction de l’IHU : cool Raoul ou coule Raoult ? »
Libération, vendredi 17 septembre 2021 p. 16
Didier Raoult devra quitter la direction de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille à l’été 2022. Comment le prend-il ? Telle est la question posée par Libération – on peut se le demander en effet, car si rien n’indique qu’il ait été « limogé », il est du moins sûr qu’il n’a pas l’initiative de la décision.
L’alternative est simple : soit cela ne l’atteint pas du tout soit c’est sa perte – deux extrêmes antithétiques, ainsi que le marque la disjonction (« ou »).
Le premier membre est exprimé par une interjection lexicalisée qui se conclut par un prénom assonant au début du syntagme (les deux sont homéotéleutes). Conformément à l’effet habituel des paronomases (qui se ressemble s’assemble), le prénom « Raoul » paraît une sorte d’aptonyme prédisposant à la décontraction : celui qui le porte serait par nature « cool ». Alors, en irait-il de même du patronyme « Raoult » ? Cela correspondrait assez bien à son « profil médiatique » : grande stature, cheveux longs, bagues, absence coutumière de costume (comme il est simple !). Même si l’homophonie entre « Raoul » et « Raoult » n’est pas parfaite, le rapprochement jouit d’une tolérance parce que la prononciation de « Raoult » est fluctuante et la production du t assez souvent « timide » – il y a entre les deux, à l’oral, une quasi-antanaclase. Mais l’écrit permet une dissociation soigneuse entre le « Raoul » qui s’en sort bien et le Raoult qui en pâtit : alourdi de ses deux lettres supplémentaires, il « coule » – ce qui cumule une métaphore de base (typiquement, ce qui est en bas suit une mauvaise pente, le perdant est à terre, ce qui est détruit est mis à bas, etc.) et une métaphore ludico-navale (ce qui coule flottait avec d’être touché) : peut-être Libération suggère-t-il que l’état heureux, qui aurait permis à Didier Raoult de flotter et d’être « cool », est manqué de très peu : de deux consonnes.
« Les délinquants français en prison, les étrangers, dans l’avion »
Marine Le Pen, Fréjus, 12 septembre 2021 (MAXPPP IAN LANGSDON)
On ne pouvait s’empêcher de penser au proverbe « Noël au balcon, Pâques aux tisons ! » en entendant Marine Le Pen déclarer à Fréjus, le 12 septembre : « Les délinquants français en prison, les étrangers, dans l’avion ! ». L’homéotéleute – c’est-à-dire la présence de syllabes finales identiques phoniquement – est souvent porteur d’un effet de comique. A fortiori, l’emploi de cette figure de style, renforcée par une commune assonance en « on », conférait au propos de la ci-devant présidente du ci-devant Front national une légèreté peu adaptée, ni à la solennité de l’élection présidentielle, ni à la gravité des problèmes liés à l’immigration et à l’insécurité. Peut-être même certains auditeurs de la candidate auront-ils repensé à la parodie d’un ancien chant de supporters prêtée aux Bleus lors de leur retour prématuré de Knysna en 2010 : « On est dans l’avion, on est dans l’avion… ! »
La candidate éprouverait-elle décidément de la difficulté à se construire un éthos de présidentiable ? Ou bien concèderait-elle inconsciemment le caractère pour le moins simpliste si ce n’est peu sérieux de sa proposition ? Toujours est-il qu’au-delà de ce qui pourrait apparaître comme un lapsus d’autodérision, rabaissant ce qui aurait dû être un slogan politique en une boutade de comptoir, ses partisans auront été satisfaits d’entendre cette nouvelle mise en mots du clivage constitutif de leur courant politique : les Français (même délinquants) versus les étrangers. Quant à la métonymie de « l’avion », loin d’avoir la fraîcheur de la créativité rhétorique, elle était constitutive d’un lieu commun, depuis l’initiative du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua expulsant en 1986 par « charter » une centaine de Maliens jugés indésirables. Comme il le disait si bien, ils ont bien « les mêmes valeurs »…
« moins de visios, plus de bistrot »
(Gérald Darmanin au Figaro, 1er juillet 2021)
La politique est toujours affaire de choix dans l’allocation de ressources rares – l’argent, le temps, les hommes, l’énergie… L’association des tours comparatifs moins de et plus de permet d’exprimer sous une forme sloganisée la volonté de diminuer l’usage de ce qui suit moins de, au profit d’une augmentation de l’usage de ce qui suit plus de. C’est la diminution qui permet l’augmentation par un processus de réaffectation : l’économie réalisée d’un côté rend possible une meilleure satisfaction de l’autre.
C’est bien ce qu’a en tête le ministre Gérald Darmanin lorsqu’il déclare au Figaro (1er juillet 2021) que pour faire face aux difficultés rencontrées par En Marche ! lors des récents scrutins régionaux et départementaux, une des solutions serait moins de visios, plus de bistrot. En somme, passer moins de temps en conférences à distance permettrait aux militants du parti présidentiel d’en passer davantage dans les débits de boisson. Le singulier de bistrot semble confirmer que le mot renvoie ici à un mode de vie : le ministre ne réclame pas la multiplication des bars.
On l’aura compris, tant la visio que le bistrot doivent être entendus dans leurs dimensions symboliques respectives, réputées ici exclusives. L’une réfère au monde élitiste de la start-up quand l’autre évoque la gent populaire adepte de l’apéro. On comprend que d’éminents responsables du gouvernement et du parti qui le soutient aient rapidement réagi à l’homéotéleute darmanien, qui donne à entendre phonétiquement l’opposition de l’entre soi CSP+ et de la convivialité CSP-, et partant l’impossibilité du en même temps macronien.
La sociologie électorale n’a jamais dit autre chose : c’est dans les milieux populaires qu’il faut aller chercher les abstentionnistes. Et ça urge : bistro ! – comme disaient les soldats russes assoiffés dans le Paris occupé de 1814.
« Je veux ‘l’Europe mais avec la France debout’ disait Philippe Séguin. Cher Philippe, aujourd’hui l’une et l’autre sont à terre »
(François Fillon, meeting de La Villette, 29 janvier 2017)
Non content de multiplier les citations de feu son mentor, François Fillon l’apostrophe lors du meeting de la Villette : « Je veux ‘l’Europe mais avec la France debout’ disait Philippe Séguin. Cher Philippe, aujourd’hui l’une et l’autre sont à terre et j’enrage de voir la civilisation européenne douter de son sort au milieu des orages ». Ces deux phrases, déjà prononcées en 2016 à l’occasion du Conseil national des Républicains, lui permettent de placer ses propres appels au redressement sous le patronage d’un orateur confirmé. Deux jours plus tôt, aux Archives nationales, Fillon faisait d’ailleurs de Séguin un représentant de l’éloquence. En distinguant ce régime de parole vénérable mais presque disparu des « émotions instantanées sur lesquelles joue la médiacratie » (entendre : les médias qui ont révélé le « Pénélope Gate »), Fillon l’associe à une forme de probité. C’est d’elle qu’il se réclame donc lorsqu’il ose l’homéotéleute « enrage »/ « orage ». Mais parvient-il pour autant à relever le style de son discours et à se refaire une vertu ?
Mise en ligne : février 2017
“Le temps des cerises puis le temps des noyaux. Solférino puis Waterloo”
(Christophe Conte, Les Inrockuptibles, 12 avril 2017)
« Nous, quand on est convoqués, on n’a pas d’immunité ouvrière »
Lors du débat entre les 11 candidats à l’élection présidentielle, Philippe Poutou fait sensation en attaquant Marine Le Pen sur son refus d’obtempérer à la convocation des juges. Alors que la favorite des sondages ironise sur son légalisme inattendu, le candidat révolutionnaire répond du tac au tac en opposant l’ “immunité parlementaire” de la députée européenne à l’introuvable “immunité ouvrière” derrière laquelle ses camarades ne sauraient s’abriter. Cette dernière n’existe pas en droit mais naît en discours d’un défigement qui, substituant l’adjectif “ouvrière” à celui, attendu, de “parlementaire” (ou “diplomatique”), joue du parallélisme des formes pour souligner l’inégalité de fond : en reprenant la construction “immunité” + adjectif, en jouant sur l’homéotéleute qui fait rimer “-aire” avec “-ère”, le porte-parole du NPA exhibe une nouvelle fois l’insupportable différence de traitement qui sépare les travailleurs des élus, fussent-ils “anti-système”. Le choix du “nous” fait le reste : face à Marine Le Pen, visée par un argument ad personam, les ouvriers font certes corps mais pour revendiquer avant tout la loi commune. Serions-nous tous des prolétaires ?
Crédits photo : POL EMILE/SIPA
“Macron, Mélenchon, Hamon, Fillon… un ‘on’ ça ose tout, c’est à ça qu’on le reconnaît !”
(Marion Maréchal-Le Pen, meeting « Au nom du peuple », 4 février 2017)
L’attaque ad personam, associée à une déformation du nom de l’adversaire, est courante en politique. Mais plutôt que d’inventer des surnoms aux candidats à la présidentielle, Marion Maréchal-Le Pen se contente d’énumérer leurs véritables patronymes : le procédé devient injurieux lorsque la liste, rendue cocasse par la reprise de la syllabe finale (homéotéleute) est associée à l’aphérèse de « con ». Le jeu de mots est d’autant plus malheureux que l’oratrice elle-même se prénomme Marion (comme sa tante, dite Marine), mais l’allusion à la réplique des Tontons Flingueurs est parfaitement claire ; et l’oratrice déplace l’affront fait aux « amis de Marine Le Pen » en mars 2015, lorsque Najat Vallaud-Belkacem avait déclaré à la télévision : « Les amis de Marine Le Pen, ça ose tout. C’est à ça qu’on les reconnaît ».