
Dans son premier et seul meeting de campagne d’avant le premier tour de scrutin de l’élection présidentielle française 2022, le 2 avril, Emmanuel Macron se singularise rhétoriquement en faisant un usage directement oppositif du dialogisme : son « grand rabougrissement » évoque immédiatement ce « grand remplacement » qui a eu les honneurs de beaucoup d’autres discours de campagne. Car l’expression est à ce point dans toutes les têtes que son schéma morphologique et syntagmatique (« le grand X-ment ») suffit à la convoquer, et il le fait ici d’autant plus que dans les deux expressions le phonème initial est le même ([r]). La convocation peut donc passer par une expression partiellement innovante, comme l’a déjà fait – mais en semblant s’affilier – Valérie Pécresse (« le grand déclassement »).
Emmanuel Macron, lui, atteste comme elle qu’il connaît très bien le bain discursif des discours de campagne, qu’il les suit de près, qu’il colle à l’actualité ; mais qu’il s’élève au-dessus d’eux. Du fait de la péjoration intrinsèque de rabougrir, dont « rabougrissement » est le déverbal, le dialogisme n’est pas affiliatif mais critique, ce par le biais d’une métaphore diagrammatique : la chétivité est à la croissance des plantes ce que les préoccupations principalement migratoires sont à la vaste réalité géopolitique – rappelée par « le retour des empires » et « le défi des temps » – dont aura à s’occuper un gouvernement, c’est-à-dire un rétrécissement, un repli sur soi-même néfaste à la survie. À une telle « micro-préoccupation » oppose ainsi, implicitement, de seyantes et bien plus opportunes « macro-préoccupations ».