
(Anne Hidalgo en meeting à Rennes le 11 mars 2022)
« Dans ce pays miné aujourd’hui par les inégalités dès le plus jeune âge, […] mon adversaire, c’est l’injustice ! » a déclaré la candidate socialiste, en écho au célèbre « Mon ennemi, c’est la finance » censé avoir été prononcé par François Hollande au Bourget le 22 janvier 2012. En réalité, le futur président de la République avait dit : « Mon véritable adversaire, […] c’est le monde de la finance ». Cette forme d’interdiscursivité qu’est l’évocation, à travers une citation implicite, d’un précédent propos tenu par un autre locuteur, peut s’expliquer par la recherche du bénéfice de l’autorité reconnue à ce dernier, ou encore par celle de l’efficacité attribuée à sa performance rhétorique.
Ce qui relie ces deux segments de discours est la forme /X, c’est Y/, qui pointe un sujet prioritaire (un adversaire : le monde de la finance ou l’injustice) tout en reconnaissant la nécessité de la proclamation de cette désignation – nuance renforcée chez Hollande par la présence de l’adjectif véritable, mais qui du coup est perçue même in absentia chez Hidalgo.
On peut aussi s’attarder sur la substitution d’un syntagme nominal à un autre – l’injustice à le monde de la finance. N’est plus dénoncé un ensemble de personnes remplissant une fonction somme toute indispensable, mais un système fondé sur le déni d’une valeur pourtant, au moins formellement, unanimement proclamée. La cible est plus abstraite mais difficilement contestable.
Les scores comparés des deux candidats socialistes, à dix ans d’intervalle, ne nous diront pas laquelle des deux phrases aura été la plus mobilisatrice, trop de choses étant inégales par ailleurs : on est bien loin d’une situation expérimentale.