
Jean-Luc Mélenchon, Paris, 10 avril 2022
Est-ce Jean-Luc Mélenchon qui parle lorsqu’il répète trois fois devant ses partisans au soir du premier tour de la présidentielle : « Il ne faut pas donner une seule voix à Madame Le Pen ! » ? Et est-ce le général de Gaulle qui parle lorsqu’il s’exclame, le 14 décembre 1965 à la télévision : « l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! » ? Ne s’agit-il pas plutôt dans les deux cas de la citation implicite sur le mode parodique d’un propos rapporté, présenté comme emblématique de l’adversaire ?
C’est évident pour le général, dont le recours à l’ironie tend à ridiculiser la préoccupation majeure de ses opposants, la construction européenne, par le triple effet de l’intonation, de la gestuelle et de la répétition : Jean Lecanuet est alors censé invoquer l’Europe en sautant sur sa chaise « comme un cabri ».
Le leader de la France insoumise, lui, dit répéter sa consigne en vue du second tour afin que ses adversaires ne puissent pas dire qu’ils n’ont pas entendu. C’est donc apparemment bien lui qui parle, mais la façon dont il procède – son recours à une gestuelle, une intonation et une répétition très proche de la pratique gaullienne – revient en fait à se moquer de ladite consigne, qui ne semble plus être la sienne mais celle que lui rappellent ses adversaires. On ne verbalise pas de cette manière sa propre pensée. Ce que l’on entend dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon est censé être son mot d’ordre de refus du vote Le Pen, mais sonne en réalité comme un propos rapporté qu’il brocarde, celui disant le choix d’un vote dit « de barrage ». Il réduit par là-même la portée et, partant, l’efficacité de la consigne.