(Libération, 2 mai 2017)
Les pouvoirs rhétoriques de l’image proviennent souvent de son alliance avec un texte. La une de Libération datée du 2 mai 2017 l’illustre au mieux : le texte y complète ce que l’on peut trouver dans l’image, qui en retour l’étaie. En particulier, il ajoute la dimension essentielle du refus, que le « non » exprime, là où l’image seule ne peut guère contester : seule, elle est semble-t-il plutôt assujettie au constat approbateur qu’à la neutralité, en tout cas jamais à la dénonciation. En quoi étaie-t-elle le texte ici? On notera d’abord que la contre-plongée extrême (la vision est aérienne) figure non seulement la position de « surplomb » du commentateur neutre, mais surtout dénie à Marine Le Pen tout rôle discursif dans cette première page : on imagine sa bouche mais on n’en voit pas les lèvres ; on devine la position exacte des yeux aux cils, seuls apparents. En aucun cas Marine Le Pen, souvent assimilée à la candidate du « non », ne peut énoncer celui qui s’étale en grosses lettres et l’adresser à un spectateur qu’elle regarderait droit dans les yeux. C’est donc elle que l’on refuse, à elle que l’on dit « non ». Et ce « non » semble couler de source. Comme la candidate, il est isolé sur fond noir (ce que permet bien la faible profondeur de champ pour cette image, l’arrière-plan étant noyé dans le flou). Comme elle, il est centré. Quant au sous-titre (« numéro spécial 16 pages anti-FN »), la couleur donnée à sa typographie reproduit l’opposition « phèmique » (du grec ϕημί, « expliquer », de même famille que φῶς, la « lumière ») entre valeurs foncées et valeurs claires, déjà à l’œuvre dans la représentation du visage. Ce système d’oppositions, caractéristique de toute antonymie, permet une antithèse topologique nette : Marine Le Pen est en haut, le « non » est en bas. Dernière touche : qui lui adresse donc ce « non » ? La réponse, encore une fois, est dans l’image. C’est Libération. Et ses lecteurs. La présentation du texte de une le place en analogie plastique avec le nom du journal : comme lui, il comporte deux parties, l’une englobée et blanche, l’autre englobante et rouge. Quant au sous-titre, il reprend ces deux mêmes couleurs. Ainsi l’esthétique de l’image, ou encore l’art d’y accommoder la sensation (du grec αἴσθησις) ‒ ici la sensation visuelle ‒, est-elle le support de la rhétorique, en un lien plurimillénaire entre la beauté et la force persuasive.