Dessin de Plantu, Le Monde, 5 novembre 2019
On ne voit que lui : Ahmed Gaïd Salah, seul maître à bord dans la politique algérienne depuis l’éviction d’Abdelaziz Bouteflika ; mais eux ne le voient pas. À l’avant-plan, tournant le dos à celui qui les surveille, les manifestants dérisoirement minuscules – par rapport à lui – protestent dans un monde de symboles : affiche de Gaïd Salah qu’ils ont tout juste pu écorner et décoller à demi, drapeau de l’Algérie. À l’arrière-plan, deux fois plus grand que son affiche déjà monumentale, moins embusqué qu’omniprésent, les guette en chair et en os Gaïd Salah lui-même derrière ses lunettes rouges (qui, par métonymie puis métaphore, lui donnent des yeux de vampire). Mais le dessin est surtout original dans sa métonymie du signe : d’ordinaire, on a soit le portrait, soit le sujet du portrait. Or ici la métonymie est in præsentia : l’affiche représentant Gaïd Salah coexiste dans le dessin avec Gaïd Salah lui-même. Le combat symbolique de la manifestation apparaît alors manifestement perdu d’avance. Le gigantesque Gaïd Salah – il y a une forme d’antanaclase visuelle dans sa dilatation – ne fera qu’une bouchée de ses opposants, qui peinent à déchirer le portrait, et seront bientôt rattrapés par le réel.