Couverture de Valeurs Actuelles, 27 mai 2021
Habituellement chargé d’attribuer au lieu qui l’affiche la propriété « gay friendly », le drapeau des fiertés étale ses couleurs pimpantes en une de Valeurs Actuelles, accompagné d’une légende péjorative : « le délire transgenre ». Entre ces deux composantes est assurée une équivalence visuelle qui facilite la rétro-propagation du jugement du second au premier : outre l’équilibre des masses, les couleurs garantissent la cohérence du message par un triple effet de rime chromatique (le jaune, le rouge, le bleu). Autrement dit, le drapeau devient /dysphorique/ dans un contexte « gay unfriendly » et la rhétorique plastique du message l’y aide.
Il y a pourtant une antithèse (escamotée) entre le multiple et l’un. Si, plutôt que de présenter le spectre continu et non dénombrable des couleurs, les six bandes colorées présentent une multiplicité, c’est parce que les couleurs de l’arc-en-ciel ont été discrétisées (présentées en valeurs « discrètes », c’est-à-dire discontinues), comme avant tout passage à du sémiotique (cette opération est en outre relativement arbitraire, le premier théoricien de l’arc-en-ciel, Aristote, y distinguant quatre couleurs – c’est pourquoi d’ailleurs on trouve de ce drapeau des variantes à sept ou huit bandes).
Le commentaire n’inocule pas seulement au drapeau (prêt à l’accueillir : il flotte vers la gauche, il est hors sol puisque sans hampe) l’axiologie négative du mot « délire » : le lecteur ne s’arrête pas à l’interprétation mais calcule la référence. Or celle du drapeau est déterminée par son sens. Que la source en soit par dialogisme la chanson du Magicien d’Oz (Judy Garland étant une icône gay) ou que l’interprétation soit plus directement métaphorique (et pour être précis homologique), la diversité des couleurs est chargée de représenter la diversité des situations des personnes cisgenres non hétérosexuelles ou pro-hétérosexuelles (des LGBT aux LGBTQQIAAP : lesbiennes, gay, bi, trans, queer, questionnings, intersexes, asexuel.le.s, allié.e.s, pansexuel.le.s). Or « transgenre » n’est rien de moins qu’une seule catégorie. En lui affectant le mot « délire » qui se reporte sur le drapeau, Valeurs Actuelles désigne à son lectorat l’ennemi qui se reconnaîtra au signe affiché aux portes et aux fenêtres. Mais cette réprobation est en outre implicitement argumentée, la synecdoque de la partie convoyant clandestinement un amalgame. Les transgenres s’émancipent de la nature. Donc l’homosexualité est, pour Valeurs Actuelles, contre nature : CQFD.