Libération, 17 mai 2019, p. 21.

La France et l’Allemagne, dont la relation pèse sur toute l’Europe, auraient désormais des intérêts divergents. Ce dessin humoristique de Willem, qui transporte dans l’intimité d’une chambre à coucher, révèle leur brouille cachée. Il réduit par synecdoque l’Europe au seul « couple » franco-allemand. Ne parle-t-on pas couramment par métaphore de « mariage » de deux pays et d’« union Européenne » ? L’étroite association entre les nations est présentée comme une relation conjugale entre Angela Merkel et Emmanuel Macron, têtes d’une chaîne métonymique unissant dirigeants, gouvernements, pays et peuples. Ce couple occupe un lit dont la couverture étoilée (en référence au drapeau de la Communauté européenne où, à sa création en 1986, les douze pays étaient ainsi métaphorisés) désigne par une nouvelle métonymie l’Union européenne actuelle. Le confort et la chaleur de cette couverture se transmettent donc à l’Union et viennent souligner les bénéfices et la sécurité qu’elle assure.
L’intrication des métonymies et des métaphores se poursuit aux trois cases suivantes : dans ce lit qu’on imaginait propice au rapprochement, les personnages froncent les sourcils et pincent les lèvres, révélant par métonymie un désagrément qui se propage aux gouvernements par une autre métonymie, et prend la forme métaphorique (passage du concret à l’abstrait) d’une opposition dans l’union. Chacun des personnages tire d’abord « la couverture à soi » (nouvelle métaphore) et entend s’accaparer l’Europe ; puis la couverture se redéploie, et les acteurs se replacent. Mais ce retour métaphorique à une solidarité européenne ne gomme pas les divergences de vues, puisque c’est tête-bêche que couchent désormais Merkel et Macron. Est-ce à dire qu’une simple réorientation peut permettre à l’Europe de fonctionner ? Mais cela vaut-il mieux que de faire chambre à part ?
Mise en ligne : mai 2019