Plus célèbre que le slogan qu’elle illustre, cette affiche en est presque indissociable.
La parataxe (juxtaposition de deux propositions sans mot de liaison, par une simple virgule) est signalée à l’œil par les contours d’un char dont le canon est pointé vers la gauche (est-ce une allusion politique ?). L’image rompt aussi l’équilibre sémantique qui met en balance le mal-être social et l’autorité militaire en fixant, comme jadis Pascal, l’écrasante suprématie de la force.
Parce qu’elle établit une relation de type thème (l’incontestable réalité des salaires rognés) / prédicat (le soutien à l’investissement militaire), la parataxe suggère que l’armée se nourrit de la sujétion. L’avantage de l’implicite, c’est qu’il suggère bien d’autres choses. Des compléments syntaxiques auraient explicité l’ensemble : « alors que les salaires sont légers » (opposition), « grâce aux salaires légers » (condition de possibilité), « à salaires légers » (interdépendance), etc. Ici au contraire, la visée argumentative est donnée par les métaphores, la morphologie et l’image. Sans les métaphores de la pesanteur (qui renvoient, respectivement, à la pingrerie et à la puissance de feu), il n’y aurait pas cette antithèse lexicalisée entre « lourd » et « léger ». Or par définition, si la polysémie de « léger » est aussi bien défavorable que favorable (raisonnement léger, repas léger), celle de « lourd » est handicapée par l’effort supposé dans le maniement de ce qui pèse et qui interdit la délicatesse (raisonnement lourd, repas lourd) ; et surtout, elle évoque immanquablement le « balourd » et le « lourdaud » qui d’ailleurs en dérivent : la force a des gros sabots. L’image fait le reste.
Image : affiche de l’Atelier de l’ex-Ecole des Beaux-Arts, mai 68 (source : Gallica)