Curieux destin que celui de ce slogan adopté entre 1968 et 1970 par la Gauche Prolétarienne. Les militants maoïstes, issus pour certains de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ne se contentent pas de faire des phrases : ils mettent en pratique les mots d’ordre comme « Patron tu paieras ! Pour un œil, les deux yeux, pour une dent, toute la gueule », répondant par des actions violentes aux différents représentants de l’autorité : employeurs, CRS, permanents de la CGT.
Détournement maximaliste d’un célèbre extrait de l’Ancien Testament (Exode 21, 23-25) ‒ lui-même dérivé du Code d’Hammourabi, recueil de lois du roi de Babylone qui a régné entre 1792 et 1750 avant JC (§ 196 et suiv.) ‒ que cette version soixante-huitarde de la Loi du talion, dont l’actualisation est favorisée par la plasticité du mot « gueule », où l’acception archaïque se superpose aux usages argotiques contemporains ‒ spécifiquement à la menace de se faire « casser la gueule » ?
Il semble en réalité que cette formule, où le désir de justice se manifeste dans la surenchère, remonte aux débuts du mouvement communiste. Lors d’une réunion municipale à Creil en 2014, un élu du PCF semblait même l’attribuer à Lénine… En France, elle circule à l’occasion des grèves dès 1923. Reprise sous l’Occupation par les antisémites du journal Au Pilori, elle repasse à gauche pendant la guerre froide, lorsqu’est dénoncée la venue du général Ridgway, chef de l’OTAN et commandant des forces américaines en Corée. Tenir le PCF et Moscou à distance n’empêche donc pas les maos d’inscrire dans le sillage du « radicalisme et [de] la bolchévisation des années héroïques » (Vigna, 2007, p. 288).