Cette citation attribuée à des traditions parfois exotiques (proverbe marocain, aphorisme de Thoreau, etc.) figure sur les calicots des manifestants, notamment en Mai 68. Il s’agit d’une réfection de cliché, qui reprend au sens littéral les termes de deux expressions figées : « perdre sa vie » – c’est-à-dire « mourir », pris ici au sens de « gâcher sa vie » –, et « gagner sa vie » – c’est-à-dire avoir un emploi rémunéré, réduction de « gagner de quoi vivre ». Le jeu de mots s’appuie donc sur les différents sens du mot vie, entendu d’abord comme « ensemble des faits, des événements, des activités qui remplissent l’existence de chaque individu », puis comme « ensemble des moyens matériels permettant d’assurer la subsistance d’un être ». Ce slogan – marquant par sa structure binaire et l’antithèse perdre/gagner, construite au prix d’une légère modification de l’expression (perdre à la place de gâcher) – tire sa force d’une antanaclase, répétition d’un même mot dans deux acceptions différentes. Ici, elle est elliptique : l’ambiguïté favorise une forme de jeu de mots. Historiquement, l’antanaclase est une figure oratoire qui consiste à répéter les mots des interlocuteurs en leur donnant des significations différentes pour les tourner en dérision, mais elle peut aussi, en jouant sur ces variations de sens, créer des analogies entre les mots mis en relation, et, par ce rapprochement inédit, constituer une figure argumentative. C’est le cas ici, selon un procédé caractéristique de la phraséologie de Mai 68, à la fois humoristique et idéologique.