Catégorie : Figurez-vous…
Elections 2017 et au-delà : les figures de style en politique
« Un Yalta du contre-terrorisme »
“C’est de la communication sincère”
(Cédric Villani, Europe1.fr, 1er juin 2017)
Interrogé sur son image médiatique, le candidat LRM aux législatives invoque la sincérité, ce qui laisse perplexe la journaliste : “c’est un bel oxymore” commente-t-elle. Dans son sens publicitaire et politique, la “communication” renvoie en effet aux efforts investis dans la construction d’une image, qu’il s’agit de présenter au public pour mieux le convaincre. Elle apparaît ainsi comme l’antithèse de la sincérité, qui implique au contraire naturel (et non effort), authenticité (et non construction), immédiateté de l’être (et non médiatisation de l’image et du paraître). Rapprocher les deux termes semble donc bien constituer un oxymore. Cédric Villani conteste pourtant avoir eu recours à cette figure de style en redéfinissant le sens de communication : le fait de “transmettre des messages” à ses destinataires, quitte, ajoute-t-il à “bousculer un peu les gens dans leurs préjugés”. La sincérité du propos viendrait-elle du refus de plaire ? Comme le “parler vrai”, ce dernier est cependant aussi une posture savamment construite, tant il est vrai que la meilleure communication est celle qui se fait oublier. A cet égard, le mathématicien ne prend-t-il pas quelques risques à commenter lui-même son image médiatique ?
Crédits photo : Joël Saget / AFP
« le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien »
Emmanuel Macron, Etel, 2 juin 2017
Emmanuel Macron n’a pas eu besoin de migrer pour commettre une énième bourde à propos de l’outre-mer. En visite au Centre régional de surveillance et de sauvetage atlantique d’Etel dans le Morbihan, il a cru bon d’illustrer sa connaissance des différentes embarcations par une boutade, faite toutes voiles dehors : « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ». Cette sortie a fait scandale, non seulement parce qu’elle traite un drame humain sur le mode de la plaisanterie, mais parce que le chef de l’État y utilise un article partitif (« du ») qui réifie les individus concernés ‒ en l’occurrence, les milliers de Comoriens risquant leurs vies sur de frêles esquifs dans l’espoir d’un avenir meilleur. Or l’article partitif détermine le plus souvent un inanimé, souvent indénombrable (« du pain », du « courage ») ; il n’est généralement utilisé avec un animé que lorsque ce dernier est un animal consommable (« du poisson »). Ici, l’embarcation personnifiée « pêche peu » ; ce n’est pas du poisson qu’elle rapporte hélas, mais bien des hommes. Et ces derniers n’arrivent pas toujours vivants. Employé avec un animé, le partitif entraîne une forme de généralisation dont la valeur péjorative est fréquemment exploitée par les discours de haine (« bouffer du curé », « casser du nègre »). E. Macron souhaitait prouver sa maîtrise des classifications maritimes ; il s’est trouvé embarqué – malgré lui ? – dans une typologie discriminante.
Crédits photo : RICHARD DE HULLESSEN
« Une banque de la démocratie »
(François Bayrou, 1er juin 2017)
Pourquoi nommer « banque de la démocratie » l’organisme destiné à financer les partis et les campagnes électorales? L’expression ne rapproche pas, a priori, des termes antithétiques, et pourtant elle surprend, car les compléments du nom « banque », s’ils incluent aussi bien un nom propre qu’un nom commun (« banque de France » / « banque de la nation »), sont ordinairement suivis d’un nom abstrait lorsque « banque » ne désigne pas un établissement financier mais, par analogie, une institution stockant des informations ou de la matière vivante (« banque de données », « banque du sperme »). Une exception notable : la « banque du peuple » imaginée autour de 1848 par le socialiste Pierre-Joseph Proudhon. Cette dernière, qui ne dépendait pas de l’État (contrairement à la « banque de la démocratie » présentée par François Bayrou, laquelle est adossée à la Caisse des dépôts et consignations), était véritablement démocratique, puisqu’elle centralisait différentes caisses de secours mutuels. Ouvriers et paysans, se prêtant les uns aux autres, devenaient leurs propres banquiers. Qu’on parle aujourd’hui de « banque de la démocratie » fait trompeusement écho à l’entreprise proudhonienne ; car le complément du nom marque désormais uniquement l’usage, et non l’appartenance : l’organisme en question a pour but de favoriser un aspect de la vie démocratique, réduite à l’activité électorale. Cette banque d’un type nouveau se veut « démocratique » dans la mesure où elle est supposée permettre un financement équitable de tous les candidats. Qu’elle fonctionne sur la base des intentions de vote désavantage pourtant les plus « petits » d’entre eux…
Crédits : REUTERS/Philippe Wojazer
« Certains parlent de covoiturage, mais c’est un terme impropre aux institutions »
(François Baroin, interview au Parisien, 28 mai 2017)
Si la coalition de la Droite et du Centre obtient la majorité aux prochaines élections législatives, son chef de file, François Baroin, envisage une situation de « cohabitation ». Mais comme ce scénario semble bien improbable, il imagine avec le mouvement du Président de la République une association non conflictuelle, qu’il caractérise comme un « partage des responsabilités » mais peine à nommer plus précisément. Maniant la prosopopée, François Baroin évoque, pour la contester, l’appellation covoiturage en l’attribuant à « certains ». Il est vrai qu’il faudrait alors se mettre d’accord sur la destination et sur le partage des coûts. Et même ceux qui ne voient dans la politique que de vaines paroles ne sont pas encore prêts à faire appel à BlaBlaCar pour gérer les alliances. Marine Le Pen propose quant à elle sur RTL une autre métaphore pour dire cet hypothétique gouvernement commun : « c’est presque un mariage ». Benjamin Griveaux, porte-parole des Républicains en Marche, ne serait sans doute pas d’accord puisqu’il ironise sur France 2 à propos de celui qui a voulu être successivement le premier ministre de Sarkozy, de Fillon, et maintenant de Macron. A moins que François Baroin ne soit un adepte du mariage avec tous ?
« Nous ne sommes pas une droite scrogneugneu »
(François Baroin, Le Parisien, 28 mai 2017)
« Décomplexée » lorsqu’elle tanguait vers ses extrêmes, la droite se recentrerait-elle ? Sans nier ses divergences avec le programme d’Emmanuel Macron, François Baroin n’exclut pas d’intégrer le gouvernement si le résultat des prochaines élections y est favorable : « Nous ne sommes pas une droite scrogneugneu », a en effet déclaré le chef de file des Républicains au Parisien, jugeant que l’intérêt du pays devait primer sur les clivages idéologiques. Une souplesse qu’espère incarner l’utilisation de l’adjectif « scrogneugneu », syncope du juron « Sacré nom de Dieu », qu’elle euphémise. La déformation met l’accent sur des sonorités supposées évoquer le grognement, à la faveur d’une harmonie imitative : dans son emploi substantivé, « scrogneugneu » désigne en effet par métonymie un vieux militaire bougon. En briscard de la politique, Baroin, capitaine des Républicains, suggère que si son parti sort victorieux de la bataille législative, il ne jouera pas les bégueules ; une manière de se rapprocher subtilement d’Emmanuel Macron, en lui prouvant qu’il n’a pas le monopole de la coquetterie lexicale ?
« La rose n’est pas fanée, elle a juste besoin d’eau »
(Catherine N’Diaye, Le Journal de Saône-et-Loire, 25 mai 2017, p. 10)
Le Parti Socialiste n’est pas mort : parole de Catherine N’Diaye, candidate investie par ce parti pour les législatives 2017 dans la 1re circonscription de Saône-et-Loire. On décode aisément la métonymie : la rose est l’emblème du Parti socialiste, c’est donc du parti que l’on parle en évoquant son emblème. Cette métonymie est métaphoriquement filée. Ce n’est pas la première fois : les aspects d’une fleur sont plus faciles à énoncer et à comprendre que celles des partis. La rose a des épines, elle a des pétales, elle peut être en bouton, etc. : tout cela est immédiatement parlant, et aussi plus précis, que – par exemple – les « inconvénients » liés à un parti, son « avenir prometteur », ses « composantes », tous termes qui ne concernent pas spécifiquement la politique. Autrement dit, le filage de la métonymie est à la fois inventif et catachrétique. La métonymie associe tout emblème à celui qui le choisit mais c’est sa richesse métaphorique qui fait sa valeur. Peu importe quelle eau l’abreuve – ferveur des militants, idées des candidats, besoins des départements, … – la rose en vivra.
« En Arrière ! »
Affiche « Pour une écologie radicale et citoyenne », mai 2017
Alors que Les Républicains En Marche pour les législatives se réclament d’un progressisme libéral et conquérant, Régis Rollès et Fanny Scopel ‒ candidat et suppléante à cette même élection dans la 6e circonscription de Paris ‒ se présentent sous un slogan antithétique : « En Arrière ! ». Si l’humour peut constituer une force pour ces tenants de la décroissance, qui espèrent bénéficier d’une dynamique favorable, la référence peu valorisante à l’arrière leur portera-t-elle chance ? En politique, l’arrière est en effet associé aux propositions rétrogrades, comme le signale généralement le préfixe « rétro- ». Mais ce dernier signifie également « en sens inverse ». C’est bien cette acception que privilégient R. Rollès et F. Scopel, lesquels se présentent – à la faveur d’une paronomase ‒ comme des « candidats de l’objection de croissance ». Ils se sont de fait engagés en « opposition au productivisme », dont les conséquences écologiques sont désastreuses. Leur réaction n’aurait donc rien de réactionnaire, puisqu’elle viserait à changer les mentalités et les pratiques plutôt qu’à en revenir au passé. Comme l’escargot qu’ils ont choisi pour mascotte (il porte fièrement à l’arrière de son corps une coquille en forme de rose), les décroissant.e.s se hâteraient simplement avec lenteur !
“Avoir un parlement à sa botte, ce n’est pas la démocratie”
(Martine Aubry, Communiqué de presse, 24 mai 2017)
Inquiète des multiples ralliements à LRM pour les législatives, Martine Aubry met en garde contre un parlement qui serait “à la botte” d’Emmanuel Macron. L’expression, bien connue, se comprend aisément : elle désigne le contrôle absolu que le président fraîchement élu imposerait aux députés. Mais comment la “botte” en est-elle venue à évoquer un pouvoir excessif ? Dans son Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey suggère que le terme renvoie par métonymie aux soldats ainsi chaussés et plus largement à l’oppression militaire à laquelle les locutions “sous la botte” ou “à la botte” permettraient d’associer, métaphoriquement, des situations analogues. Mais “à la botte” est surtout un classique de l’équitation ou de la chasse : on l’entend lorsque le cheval “va à la botte », cherchant à mordre le pied de son cavalier, ou lorsque le piqueur tient le limier “à la botte », c’est-à-dire serré près de lui par un collier appelé “botte” qui empêche le chien de s’élancer. C’est sans doute cette dernière acception qui motive la métaphore : le parlement est identifié à une meute obéissant au doigt et à l’oeil du président, lequel n’hésite pas à empiéter sur le terrain de chasse des autres partis…