(Yann Moix, Libération, 22 janvier 2018)
La lettre ouverte de Yann Moix à Emmanuel Macron publiée par Libération le lundi 22 janvier est une provocation plus qu’une dénonciation : sa rhétorique est d’abord épidictique (elle vise à fédérer les uns et à exclure les autres en brandissant des valeurs communes bafouées) et ensuite seulement délibérative (elle cherche à attester la réalité des faits incriminés – les violences faites aux migrants calaisiens –, principalement étayée par l’assertion plusieurs fois répétée que l’auteur a filmé les faits). Si raisonnement il y avait, il serait fallacieux en raison de cette pétition de principe qui amène l’expression centrale : « Quand un policier, individuellement, dépasse les bornes, on appelle ça une bavure. Quand des brigades entières, groupées, dépassent les bornes, on appelle ça un protocole. Vous avez instauré à Calais, monsieur le Président, un protocole de la bavure ». On nomme « bavure » un écart individuel par rapport à une norme juste collective (soit le fait de « dépasser les bornes »). Mais qui sinon Yann Moix prétend que les protocoles « dépassent les bornes » ? Au contraire, pour tout un chacun, ils les fixent. Un protocole ne dépasse les bornes que lorsqu’il cesse d’être reconnu comme tel. Pour que l’expression « protocole de la bavure » puisse prendre sa pleine efficacité, Y. Moix a donc besoin de donner préalablement au mot “protocole” le sens qui lui est nécessaire pour décocher ce mot fort comme si de rien n’était. Du point de vue de la légitimité argumentative, l’oxymore « protocole de la bavure » est à la limite du sophisme. Mais ce sophisme disparaît dès que l’on considère que l’expression est polyphonique : outre qu’elle aggrave considérablement la faute en l’étendant du sauvage au réglementaire, elle dresse face à face celui qui détecte des bavures (Yann Moix, recrutant les lecteurs témoins de sa lettre ouverte) et celui qui établit des protocoles (Emmanuel Macron, sommé de réagir devant cette rencontre de la règle et du réel).
Crédits photo : Baltel/SIPA