Laurent Joffrin, Libération du 26 avril 2019
Jeudi 25 avril 2019, Emmanuel Macron révèle lors d’une conférence de presse sa ligne politique, remodelée par le Grand débat où ont pu s’exprimer, en pleine révolte des Gilets jaunes, les doléances d’une large part des Français. Dès le lendemain, Laurent Joffrin résume ainsi aux lecteurs de Libération la supposée refonte de la politique gouvernementale : celui qui promettait d’abolir tous les clivages, en particulier entre la droite et la gauche, est face aux revendications sociales « un Juppé sans calvitie ou un Raffarin maigre, au choix ». Cette double antonomase corrigée se décode aisément – à droite toute ! – parce qu’elle s’appuie sur des stéréotypes pour extraire, ici de Raffarin ou de Juppé, une ou plusieurs propriétés saillantes, et de surcroît communes : car on a le choix de son antonomase préférée.
La propriété « être de droite » est en accord avec le contexte, Laurent Joffrin précisant que dans la « droite sociale » qui définit la politique d’Emmanuel Macron, le mot « droite » doit être écrit « en majuscules ». Mais elle n’est pas la seule pertinente : la synecdoque sur laquelle repose la figure est dans les deux cas implicite. Juppé et Raffarin sont aussi tous deux retraités de la politique : le nouveau monde promis par Macron s’annonce donc ancré non seulement dans le déjà-vu, mais dans le révolu. De même, ni Juppé ni Raffarin n’ont la réputation de prêter l’oreille pour infléchir leur politique aux plaintes sur le mal-être provoqué par l’austérité…
Corrigée, l’antonomase exprime une équivalence mutatis mutandis – « en changeant ce qui doit être changé » – qui non seulement ouvre d’autres aperçus sur les stéréotypes sociaux, mais dénonce surtout une conception de la politique. Juppé ? Chauve. Raffarin ? En surpoids. Macron ? Maigre et jeune (pourvu de tous ses cheveux). Voilà le renouveau macronien ramené « au physique », à l’apparence, et vidé de son sens : de fait, la corpulence et la pilosité crânienne sont deux valeurs sûres pour le marketing, la publicité, le look, mais pas en principe pour la politique. En les ciblant, Laurent Joffrin déchire l’emballage, et semble inviter à ne pas se laisser avoir par le packaging !
Source de l’image : Risiardo