
Un spectre hante la France confinée. Au-delà de cette parodie – très libre – de l’incipit d’un célèbre Manifeste, on ne peut qu’être frappé en constatant à quel point la question du « masque » est au cœur de tous les discours sur la pandémie et son traitement dans notre pays. Les propriétés du mot nous aident (peut-être) à comprendre comment il a pu acquérir cette place centrale dans les représentations de la lutte contre le coronavirus et dans les polémiques qu’elle a générées. Bien sûr, les masques dont il est question aujourd’hui de façon obsessionnelle se présentent comme des protections, et c’est bien un surcroît de sécurité que l’on attend d’eux. Mais l’histoire du mot et sa polysémie contemporaine nous renvoient à une intéressante richesse sémantique.
L’étymologie de masque n’est pas toujours très claire, mais les dictionnaires pertinents en la matière nous renvoient à la couleur noire (radical préroman °maska), à la pratique démoniaque (en latin médiéval), à l’occultation de la vérité (italien maschera, « faux visage »), à l’idée de tache (dans certaines langues romanes). Dans le français moderne, le masque recouvre le visage pour un déguisement. Par métonymie, c’est l’étoffe qui cache le visage, et par métaphore, c’est l’apparence trompeuse. Mais finalement, par analogie de forme, masque désigne tout ce qui protège le visage – celui de l’apiculteur, de l’escrimeur, du soudeur, de la victime potentielle de gaz nocif – ou encore ce que porte le chirurgien, non pour se protéger lui-même, mais pour protéger le patient – nul n’ignore à présent ce qu’est un masque chirurgical, malgré une trompeuse inversion sémantique. L’idée de protection l’emporte donc, au point que par extension, on a utilisé ce mot à propos d’un abri naturel ou artificiel, en matière militaire ou maritime.
Mais à côté de l’image positive de la protection, cohabite celle, négative, du mensonge et de l’occultation. Car masquer, c’est au sens propre « dissimuler aux regards », et au sens figuré « dissimuler sous des apparences trompeuses ». De la même façon, la mascarade (de l’italien mascherata) est un défilé de personnes déguisées, mais aussi une mise en scène trompeuse, une attitude hypocrite. On sait que aller toujours en masque signifie « cacher ce qu’on pense », et qu’inversement, jeter le masque, c’est « cesser de dissimuler », et lever le masque, « agir ouvertement ». Quant à la mascotte (provençal mascoto), c’est un sortilège avant d’être un porte-bonheur. Et en occitan, una masca est une sorcière.
Revenons donc à la lutte contre le Covid-19. A-t-on voulu nous masquer quelque chose à propos de cet objet protecteur ? A-t-on voulu maquiller la réalité ? A-t-on assisté à une mascarade ? Y a-t-il quelque coupable à démasquer – on reste dans la même famille étymologique ? Qu’a-t-on cherché à cacher à propos des masques ? Et plus largement, ne peut-on pas dire que le mot masque, par sa double connotation positive (quand la fonction de l’objet est de protéger) et négative (quand elle est d’occulter), est l’instrument lexical idéal pour exprimer l’essence du politique et partant, le doute sur les pratiques de nos gouvernants ?