La tête carrée, les sourcils légèrement froncés, la bouche au repos, l’air préoccupé mais pas du tout affolé, Emmanuel Macron fait en une de Libération un splendide dictateur romain – ces magistrats auquel la République accordait les pleins pouvoirs pour une durée déterminée, souvent en cas d’urgence militaire. Une isotopie (et dans ce cas, un ancrage de l’image) relie la photographie et le texte, le journal commentant l’usage de l’article 49.3, annoncé samedi dernier par Édouard Philippe, pour couper court aux débats sur la réforme des retraites, par ces mots : « Manu militari ». L’usage d’une expression latine proverbiale permet à Libération de renvoyer dialogiquement à l’époque romaine et d’insister sur l’image sévère, et même dure, qu’il produit du président, en lui donnant d’austères ancêtres latins ; mais aussi, littéralement, cette expression critique la méthode forte employée : l’article 49.3 est constitutionnel certes, mais martial. L’essentiel est toutefois ailleurs. L’opportunité de l’expression vaut surtout par la syllepse sur « Manu » (la main en latin, mais Emmanuel Macron sur la photographie), qui coagule le personnage de Macron et l’emploi de la force. Ils sont de même aspect, plus intrinsèquement mêlés encore qu’un recto et un verso – une syllepse, c’est à la fois l’humour traditionnel de Libération et, argumentativement, une paronomase parfaite. Pis, c’est du Macron intime (diminutif « Manu ») que vient la poigne. Le « en même temps » emblématique du personnage se concentre en antithèse aux moments décisifs : un Macron abordable et humain, mais aussi inflexible et froid qu’une statue de marbre.