Au festival de Mayence, en Allemagne, en février 2018 (Fabian Sommer/picture alliance / Fabian Sommer/dpa), Libération, 26 avril 2021, p. 20-21.
En publiant une image prise à Mayence en février 2018, Libération exploite et illustre le rôle du contexte dans la rhétorique des discours. Aussi bien en 2018 qu’en 2021 on a une métaphore-valise, ici bidimensionnelle, là tridimensionnelle : sur un char sont fusionnés la tête de Macron et le corps de Napoléon 1er. Les deux sont reconnaissables à des signes distinctifs : le second à l’uniforme galonné qui lui est associé dans l’iconographie, à un geste tout aussi codifié (main glissée entre deux boutons de la redingote), auquel s’ajoute le geste de l’oncle Sam puisé dans notre vaste mémoire dialogique (main et index tendus vers l’avant), rappelant pour nous, en évoquant un moderne « empire », l’essence entièrement militaire et conquérante de sa mémoire ; le premier à son classique nez busqué, à sa bouche mince, au regard de défi de ses yeux rapprochés, à son alopécie naissante de part et d’autre du front, signes en voie de codification. Dans les deux cas il y a propagation de propriétés de Napoléon 1er à Macron, référent du discours. Mais si en 2018 on assignait là un modèle impérial à une gouvernance « jupitérienne », en 2021 la photographie illustre un article de Louis-Georges Tin pointant la contradiction qu’il y a à vouloir commémorer, le 5 mai, celui qui a rétabli l’esclavage, tout en voulant célébrer comme président, le 10 mai, son abolition. Or la métaphore-valise ne renvoie pas dos-à-dos deux faces, ici antithétiques, du « en même temps » : c’est Napoléon 1er, non Macron, le phore (l’élément auquel on attribue un sens métaphorique) appartenant à la diégèse (l’univers du récit que l’on est appelé à imaginer) ; et sa face impériale, son projet de conquête (l’Occident doit dominer le monde, quoi qu’il en coûte), font de l’autre face, respectueuse des droits de l’homme, une façade de pure forme.