Valeurs Actuelles, une du n° 4403, 15 avril 2021
Aux armes, citoyens ?
Pas sûr du tout. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen garantit la liberté d’expression mais la loi du 29 juillet 1881 lui donne des limites : on ne peut pas « porter atteinte aux intérêts supérieurs de la nation » ni inciter à « la violence » contre une personne ou un groupe de personnes. Or l’« insurrection », c’est au sens propre l’« action de se soulever contre un pouvoir politique établi en recourant à la violence armée ». Au sens littéral ni Philippe de Villiers ni Valeurs Actuelles n’ont le droit de tenir ces propos ni de les publier. Il en va différemment du sens métaphorique – métaphore si discrète que les dictionnaires l’appellent sens figuré (ce qui revient pourtant au même). En lisant l’interview de Philippe de Villiers, on comprend que ce dernier appelle à se soulever par la parole, voire par la seule opinion, métaphore donc, qui devient hyperbole (il prête à la violence contestataire la violence majorée de la lutte armée). Ajoutons que le repli métaphorique s’abrite sous un topos millénaire qui oppose les actes, réputés opérants, aux mots seuls, réputés sans efficace (comme l’exprime crûment l’expression lexicalisée « bien faire et laisser braire »).
Ce passage à la métaphore rend d’ailleurs moins criant le paradoxe de ce mot brandi dans la bouche d’un homme de droite : il a plutôt historiquement des affinités avec la gauche, sans doute du fait de son étymon latin surgere qui en fait un mouvement venu du bas, donc du peuple ; mais, alors que depuis une dizaine d’années le pouvoir est aux mains d’hommes de gauche ou initialement de gauche, « insurrection » semble devenu un mot du populisme de droite.
Cette lecture métaphorique n’est pas qu’une question de contexte historique ou de cotexte textuel : une pétition de principe la permet si l’on fait un interprétant de l’éthos préalable de Philippe de Villiers, qui jusqu’alors ne s’était pas fait connaître comme un homme à fomenter un coup d’État susceptible de bouleverser la quiétude française : à tort ou à raison, il n’en irait pas de même si, imaginons, un ancien membre d’Action directe appelait à l’insurrection à la une de Libération). Celle de Valeurs actuelles montre Philippe de Villiers plus inoffensif, vieillissant, un vague sourire aux lèvres. L’éthos oratoire apporté par l’image conforte le crédit accordé à Philippe de Villiers : encravaté, veste bleu marine, col de chemise boutonné jusqu’en haut, bien coiffé, cheveux courts disciplinés par une raie sur le côté, ce n’est pas un trublion, encore moins un putschiste.