(Jean-Luc Mélenchon, Youtube, 28 avril 2017)
Ainsi parle Jean-Luc Mélenchon le vendredi 28 avril, sans donner de consigne de vote ni même révéler le sien – il n’accepte de dire que ce qu’il ne vote pas. Mais certains y ont vu une affirmation positive. Ainsi dans Libération des 28 et 29 avril peut-on lire : « comprendre : il va glisser un bulletin Macron dans l’urne ». Battre la campagne y voit une litote, et même une triple litote (raillant ainsi les politiques qui se défilent, au mépris de la contradiction). Mais c’est se focaliser sur la négation comme dans l’exemple emblématique du Cid, le « Va, je ne te hais point » de Chimène qui ne l’utilise que pour atténuer l’expression du sentiment opposé (la litote réside en cette atténuation). Car l’absence de haine peut être conçue comme un très faible degré de l’amour. Or il n’en va pas du tout ainsi dans le cas du second tour de la présidentielle : Macron n’est pas plus un faible degré de Le Pen que Le Pen n’est un faible degré de Macron. Et puis, surtout, le choix n’est pas binaire : en plus des deux candidats, il y a le vote blanc ou nul, ou l’abstention. De la négation du vote Le Pen on ne peut conclure au vote Macron. Mélenchon donne plusieurs pistes. La question de départ (« Y a-t-il une seule personne qui doute… ? ») est une question rhétorique, c’est-à-dire qu’elle revient à affirmer l’inverse, ainsi que le locuteur le suppose lui-même juste après (« tout le monde le sait »). L’abstention, elle, est écartée : « moi j’irai voter ». Le vote Macron ? Il n’est pas un « vote antifasciste » mais un « vote d’adhésion » auquel Mélenchon dit expressément : « non » – même s’il ajoute qu’il fera “ce qu'[il a] à faire”. Conclusion possible : restent les votes blancs ou nuls. Rien à voir avec ce que dit comprendre Libération. Et Mélenchon fait alors, non une litote (et encore moins une triple et contradictoire litote), mais un enthymème très cohérent, c’est-à-dire un syllogisme elliptique dont on peut restituer la totalité ainsi : si l’on vote, on a le choix entre Le Pen, Macron, blanc ou nul. Or je vais voter, je ne vote pas Le Pen, et je ne vote pas Macron. Donc je vote blanc ou nul. Voilà ce que l’on peut comprendre. Mais il faut décidément être « grand clerc » pour y voir clair ! Comprenne qui veut, et surtout, que l’on choisisse ce que l’on comprend : c’est peut-être ce que voulait Mélenchon. Avec les enthymèmes, chacun est majeur et responsable de son raisonnement. Comme Mélenchon, l’isoloir gardera son secret.