
(Julien Rebucci, “François Fillon, ses premiers arrangements avec la réalité », Les Inrockuptibles)
“Des matadors que le jeune Fillon admire, aux matamores qu’il semble de plus en plus incarner, il n’y a qu’un pas” : cette citation, extraite d’une biographie non hagiographique de François Fillon récemment parue, forme une phrase sophistique, autrement dit un énoncé dont la rhétorique persuasive repose implicitement sur un raisonnement fallacieux. Outre l’« illusion biographique” (Bourdieu, 1986), qui sélectionne dans le passé ce qui paraît laisser présager le présent, l’idée suggérée est que depuis longtemps François Fillon est un dissimulateur invétéré (l’auteur vient de parler de l’engouement du jeune Fillon pour la tauromachie). Pourquoi peut-on voir dans la fascination de Fillon pour les corridas l’annonce du futur Pénélopegate ? Eh bien, parce que les mots « matador » et « matamore », à un simple son près, se ressemblent. Or les mots qui se ressemblent s’assemblent (paronomase), et donc une notion évoquée par l’un mène « tout naturellement » à la notion évoquée par l’autre, au mépris de l’arbitraire du signe (ce qui est d’ailleurs consubstantiel à la rhétorique, mais la sophistique commence sans doute quand il n’y a pas d’autre argument que rhétorique). En l’occurrence, comme le disait déjà en 1900 le délirant Jean-Pierre Brisset, « toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle » (La grande nouvelle). Alors qu’on suspecte Fillon pour des faits réels, il est dommage de rejoindre une pensée si primitive en se réfugiant dans une figure qui se passe de toute réalité. Trop de rhétorique tue-t-elle la rhétorique ?