Libération, jeudi 1er avril, p. 2
Pour qualifier ses nouvelles restrictions sanitaires, le gouvernement parle de « freinage ». En donnant de ce mot son strict équivalent structural (affirmer A équivaut à nier B : « freinage » nie « reconfinement »), Libération ne propose pas seulement une traduction : le déictique « ceci », ininterprétable dans le cadre de la lecture du journal, convoque une situation où le gouvernement expliquerait sa réaction face à la propagation croissante du virus. Le journal lui prête donc le propos en opérant une délégation dialogique de responsabilité énonciative.
Mais le lecteur récupère surtout, toujours par dialogisme, l’allusion à un énoncé de même forme : « ceci n’est pas une pipe » (Magritte). Avantageuse dans son contexte d’origine, où l’artiste fait preuve de lucidité sur son art, la référence devient dévastatrice appliquée à la politique gouvernementale, la métaphore étant accusatrice : dans le domaine de l’art, le spectateur est salutairement invité à résister à la ressemblance poussée (la mimèsis) qui pourrait l’amener à confondre représentation et monde (ce que déplorait déjà Pascal : « quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! ») ; mais en politique, voilà récusé un mot qui convient si bien que l’on pourrait s’y tromper. Et donc, nier ce qui « tombe sous le sens » simplement pour produire un euphémisme (« freinage »), c’est de la dénégation.