
En préférant « nous avons besoin d’Europe » à « nous avons besoin de l’Europe », les acteurs politiques de droite comme de gauche qui reprennent cette affirmation la font sonner comme un besoin d’amour ! Avec le déterminant « l’», elle aurait renvoyé à une entité bien réelle, qu’on connaît sous le nom d’Union européenne, avec son dispositif institutionnel complexe, ses avancées et ses impasses. Mais l’expression en fait l’économie, donnant à l’Europe une dimension virtuelle. Elle perd de sa dimension concrète pour ne garder que ses significations générales – devenant ici un idéal, une valeur ou, qui sait ?, un sentiment.
Le gain poétique est aussi politique. Les destinataires qui se reconnaissent dans le « nous » sont invités à la voir positivement – s’ils en ont besoin, n’est-ce pas qu’ils en manquent ? – sans que celui ou celle qui les y enjoint n’ait à justifier sa position. Libérée de son déterminant, l’Europe l’est aussi de ses déterminations et de son ancrage historiques, comme si elle était un bien universel auquel tous ont droit, quelles que soient ses réalisations particulières. Chacun peut donc se l’imaginer comme il l’entend, qu’importe le bord politique !
Mais de la même manière que notre besoin d’amour ne peut être satisfait que par l’amour d’êtres bien réels, notre besoin d’Europe ne mérite-t-il pas de se fixer sur un projet un peu mieux défini ?
Mise en ligne : mai 2019