
(François Mitterrand, campagne pour les élections européennes de juin 1989)
Cette structure binaire présente un parallélisme parfait, dans la juxtaposition de deux assertions équatives (France = patrie, Europe = avenir) présentant le même nombre de syllabes, ce qui confère un rythme régulier au slogan et donc un pouvoir mnémotechnique efficace. Par ailleurs, le présent omnitemporel péremptoire porte en lui une force de conviction certaine.
Ce qui nous interpelle ici, c’est le terme « patrie » dans la bouche d’un Mitterrand qui avait pourtant construit sa politique autour du « changement ». En effet, ce terme peut sembler désuet, voire réactionnaire car il nous fait immanquablement penser au slogan de Vichy « Travail, Famille, Patrie ». Ce rapprochement n’est pas si incongru car, à y regarder de plus près, le Président socialiste avait curieusement emprunté, dans son iconographie électorale, certains éléments au triptyque de Pétain. Sur ces affiches, on voit en arrière-plan un petit village de la France profonde, son clocher et ses terres façonnées par l’homme : on reconnaît bien là notre imaginaire de la patrie, la terre de nos pères, qui est le patrimoine immatériel représenté par ce paysage stéréotypé. Mitterrand a bien senti que le parallèle entre la France et l’Europe était hardi : difficile de conjuguer la tradition terrienne supposée millénaire avec une entité éthérée, à l’« avenir » incertain, dirigée par des institutions que les eurosceptiques disent « hors sol ». En choisissant « patrie » plutôt que « nation », il veut cependant affirmer que la combinaison est possible : de la même façon que les « petites patries » n’ont pas empêché l’émergence d’un sentiment national à la fin du XIXe siècle, la « patrie » ne s’accommoderait-t-elle pas mieux que la « nation » à l’intégration européenne » ?Au vu du positionnement politique de Mitterrand, on peut se demander pourquoi il n’a pas cru bon d’utiliser le terme « nation » qui aurait mieux correspondu, du moins en apparence, à son paradigme idéologique.