Menton, France, 2006
Pied de nez de l’humoriste Jean Yanne, création situationniste, slogan anecdotique, ou énoncé emblématique de la contestation de la jeunesse de mai 1968 ? Il est interdit d’interdire est sans doute tout cela à la fois. Désigner l’interdiction… pour l’interdire. Mimer l’instance qui la porte, pour la miner. La force interpellative (et jubilatoire) de ce slogan repose d’abord sur la contradiction qu’il contient : dire qu’interdire est interdit… c’est formuler une interdiction portant sur l’acte même d’interdire, ou encore énoncer une interdiction, en même temps que se poser contre l’acte d’interdire. Construit sur un polyptote – c’est-à-dire la répétition d’un même terme avec des variations morphologiques –, ce slogan, dans sa forme, d-énonce donc l’interdiction (il l’énonce en même temps qu’il la dénonce). Il manifeste de la sorte un des multiples gestes d’émancipation et de libération d’une jeunesse souhaitant tourner la page d’un monde (le « vieux-monde ») qui entrave ses désirs et ses aspirations. On retrouve peinte ou affichée cette négation de l’obligation, ce refus de toute contrainte, sous la forme Défense d’interdire, rue d’Ulm ou sur les murs de la Sorbonne. Il peut alors servir plus ponctuellement à contrer les réactions du pouvoir à la mobilisation étudiante. C’est ainsi qu’on peut l’entendre dans la bouche d’Alain Geismar, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur, qui deviendra une figure importante de la Gauche prolétarienne. Mais le slogan a une portée plus générale : il remettant en cause l’autorité de la loi, quelle qu’elle soit, ce qui lui a valu par la suite de virulentes critiques… Sans l’empêcher d’être repris et détourné, on le reverra ainsi dans une campagne publicitaire du distributeur Leclerc, servant alors un idéal consumériste, à l’opposé des idéaux de mai 68…