Photographie : Albert Facelly pour Libération
Le 16 octobre 2018, après deux semaines d’attente, Édouard Philippe dévoile la composition du nouveau gouvernement, que le départ de Gérard Collomb, ex-ministre de l’intérieur, lui impose de constituer. Commentaire de Laurent Joffrin le jour même sur le site de Libération, dont il est rédacteur en chef : « Certains avaient parlé d’un tournant. C’est un tournant en ligne droite ». L’oxymore saute aux yeux : un tournant se définit d’abord par la rupture qu’il représente par rapport à la ligne suivie jusqu’alors (donc droite). Mais plus important est le fait que cet oxymore intervient pour neutraliser une métaphore politiquement avantageuse, celle du tournant. Plus précisément encore, c’est une homologie (comme le sont souvent les « métaphores de base », selon les termes de Lakoff et Johnson) qui concerne en général non pas un seul mot, à l’instar de la plupart des métaphores analogiques, mais plusieurs – un tournant en politique, c’est un virage (à tant de degrés), une nouvelle direction que l’on prend, une réorientation, un nouveau cap, mais aussi une nouvelle route, une nouvelle voie, etc., et bien entendu une nouvelle ligne politique. Ce que l’on pourrait dire avec d’autres mots : changement, redéfinition, renouveau, etc. Mais la figure est plus parlante. Elle autorise le filage de l’homologie par l’oxymore, qui se gausse du remaniement en opposant à la métaphore du tournant une « contre-métaphore ». La propriété même qui valorisait le remaniement est contestée – la qualification de « tournant » n’est retenue qu’à condition qu’on la prive de son seul intérêt – pire, de ce qui fait que ce qu’on désigne mérite ce mot. Ce tournant n’en est pas un. Donc le remaniement non plus. Ou alors, sans aucun renouveau (les seuls vrais tournants sont les départs imposés). Autrement dit, l’exécutif persiste et signe.