(Christophe Conte, Les Inrockuptibles, 12 avril 2017)
Mois : avril 2017
« On est dans une sorte de fantasme »
Jean-Luc Mélenchon répondant à François Fillon, meeting de Toulouse, 16 avril 2017
Le renversement du stigmate, par l’appropriation d’une étiquette infamante (« décadent », « intellectuel », « pédé », par exemple) est un moyen éprouvé de déstabilisation. Jean-Luc Mélenchon le sait. Il détourne avec humour une attaque de François Fillon qui, sur Radio J, avait le jour même qualifié de « fantasme » son projet de coopération avec L’Alliance Bolivarienne pour les Amériques. Projet insidieux, de l’avis de F. Fillon, qui en fait un scénario irréalisable, fruit de la fascination de son adversaire pour un certain imaginaire révolutionnaire. Par son étymologie (« fantôme »), le mot « fantasme » permet aussi d’ériger J.-L. Mélenchon en menace : ce dernier apparaît ainsi implicitement comme un « spectre » ‒ métaphore qui, on le sait, a longtemps entretenu la peur du communisme (Marx et Engels la citent déjà ironiquement dans leur Manifeste). Plutôt que de s’aventurer sur ce terrain, Mélenchon exploite la polysémie du mot « fantasme », en réactivant singulièrement son acception érotique par une antanaclase : « On est dans une sorte de fantasme, dit-il à propos de moi – ce qui est toujours flatteur compte tenu de mon âge ». Il met ainsi les rieurs et Fillon de son côté, en le présentant comme un admirateur secret que les courbes ‒ physiques ‒ du candidat de la France insoumise exciteraient plus que son programme !
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« Le vote utile, c’est un vote futile »
François Asselineau, France 2, 17 avril 2017
La structure « X, c’est Y », souvent exploitée en politique, permet de poser tantôt une équivalence frappante, tantôt de souligner une opposition sur le mode du paradoxe (« le bien, c’est le mal »). Un effet que François Asselineau renforce au moyen d’un parallélisme et d’une paronomase, lorsqu’il affirme que « le vote utile […] est un vote futile ». Proches par leurs sonorités, les adjectifs « utile » et « futile » possèdent en effet des significations antithétiques. Contrairement à d’autres épithètes accolées au mot « vote » (« blanc », « nul », par exemple), « utile » a une valeur adverbiale : « voter utile », c’est voter « utilement », c’est-à-dire de manière stratégique, en suivant les sondages. Une stratégie qui pénaliserait les « petits » candidats, comme celui de l’Union populaire républicaine. Ayant dissipé la croyance dans l’efficacité du « vote utile », ce dernier réaffirme la consistance de ses propres objectifs : « Les électeurs français, dans leur majorité, veulent de la solidité, de l’honnêteté, de la compétence. Ils en ont assez des formules marketing ». Celle qui aboutit à cette conclusion n’en est donc pas une ?
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“les héritiers de Charles Maurras et du général Boulanger, les nostalgiques de la colonisation, se prétendent les champions des ouvriers et des employés”
(Christiane Taubira, Lens, 15 avril 2017)
A Lens pour soutenir Frédérique Masson, candidate PS aux élections législatives, Christiane Taubira concentre ses attaques sur le Front national, mais sans le citer. C’est en effet par une périphrase que ce dernier est évoqué. La figure de style lui permet de marquer son mépris pour ce parti, qui ne mérite pas d’être nommé, tout en en dévoilant les racines mêlées : le général Boulanger, républicain radical tenté dans les années 1880 par l’aventure plébiscitaire ; le royaliste Charles Maurras, dont la Ligue d’action française fondée au début du XXe siècle professe un nationalisme antiparlementaire, xénophobe et antisémite ; les “nostalgiques de la colonisation”, confondus dans une même réprobation. Avec des ancêtres pareils, comment l’extrême-droite pourrait-elle défendre les plus faibles ? L’argument ad hominem est habile, mais ces références historiques sont-elles connues de tous ?
“Nicolas Dupont-Aignan pourrait être le Taubira de la droite”
(Eric Woerth, Le Monde, 5 avril 2017)Le lendemain du Grand Débat, qui a permis de faire entendre les petits candidats, Eric Woerth s’inquiète de la progression de Nicolas Dupont-Aignan, crédité de plus de 3% des voix par les sondages. Cette dernière lui rappelle l’échec de Lionel Jospin au premier tour des élections de 2002 (16,18 % des suffrages exprimés), qui ont vu Jean-Marie Le Pen (16,86%) affronter Jacques Chirac au second tour. En cause, la division de la gauche, dont Christiane Taubira devient ici le symbole, en dépit de son faible score (2,32% contre 5,33% pour Jean-Pierre Chevènement). Craignant de voir François Fillon manquer de quelques points la qualification au second tour, le député de l’Oise accuse de façon anticipée Nicolas Dupont-Aignan. Par antonomase, le nom propre Taubira se transforme en nom commun pour désigner un “petit” candidat sur le point de faire perdre son camp. Parce qu’elle identifie l’animateur de Debout La France ! à l’une des cibles privilégiées de la droite pendant le quinquennat de François Hollande, la condamnation est sans appel, mais c’est au prix d’un léger trouble dans le genre – pour qualifier un candidat, Taubira devient masculin.e !
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« Je ne suis pas lui »
(Emmanuel Macron, France 2, L’Emission politique, 6 avril 2017)
Si un tel truisme ne sert apparemment à rien, puisque par définition il énonce une lapalissade, il en va tout autrement si l’on prend en compte la dimension dialogique du discours. Emmanuel Macron s’exprime ainsi parce que l’évidence selon laquelle moi ne peut désigner la même personne que lui semble ne pas en être une pour tout le monde. Depuis un certain temps en effet, François Fillon et quelques autres acteurs de la campagne électorale multiplient les propos identifiant le candidat d’En Marche ! au président sortant. Il s’agit donc pour l’ancien ministre de l’économie de répondre à l’oxymore décliné de mille et une façons « Macron, c’est Hollande », qui ne prend sens que par l’antonomase sous-entendue transformant le second nom propre en nom commun : le candidat est ramené à un individu appartenant à la catégorie des gens assimilables à Hollande. Il est clair en effet que nul ne prétend que les deux personnes évoquées n’en font qu’une, mais bien que Macron est un nouveau Hollande. La formulation de la réplique « Je ne suis pas lui », avec le recours à l’opposition des pronoms personnels des première et troisième personnes, rappelle un autre truisme célèbre ‒ « Lui c’est lui, moi c’est moi », qu’avait énoncé Laurent Fabius interrogé par Alain Duhamel à « L’Heure de vérité », le 5 septembre 1984 sur Antenne 2. « Lui » était alors le président en exercice, François Mitterrand, et « moi », son jeune et récent premier ministre. La parenté des énoncés renvoie clairement à la proximité des situations respectives : dans les deux cas, celui qui apparaît comme le protégé, voire la création du chef de l’Etat, cherche à s’en émanciper.
“C’est comme La Callas qui explique s’être mariée avec Onassis parce qu’il était beau comme Crésus !”
« il y a quelque chose de pourri à la tête du Medef »
(Benoît Hamon, conférence de presse, Paris, 10 avril 2017)
Indigné que Pierre Gattaz le rapproche du Front national, Benoît Hamon estime qu’« il y a quelque chose de pourri à la tête du Medef ». Un trait qui ne manque pas de mordant, puisque la citation de l’Hamlet de Shakespeare ‒ « il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » (c’est Marcellus qui parle, à l’acte I, scène 4) ‒, détournée, forme une périphrase faussement évasive désignant Gattaz lui-même. Mais le président du Mouvement des entreprises de France y est réifié par l’indéfini « quelque chose », qui introduit le groupe centré sur l’adjectif « pourri ». Au sens propre, ce terme décrit l’altération organique d’un végétal ou d’une charogne ; au figuré, une personne qui a perdu ses qualités – notamment morales. B. Hamon exploite habilement la syllepse : l’attaque de Gattaz portait sur son programme économique ? Il réplique en utilisant une expression proverbiale marquant une aberration, un scandale, alors que les affaires financières qui pèsent sur François Fillon – candidat proche du Medef – occupent les esprits. Une manière de faire écho, sans démagogie, au « tous pourris ! » dénonçant la corruption qui s’est généralisée depuis que l’argent est roi en politique. Consciemment ou consciemment, le déplacement effectué par Hamon remotive enfin la traduction littérale du « Something is rotten in the state of Denmark » (« quelque chose est pourri dans l’État de Danemark »), « tête » rappelant par ses sonorités « state ». Hamon se prend-il pour Hamlet, regardant dans les yeux un Capital déjà mort ? Décidément, cette campagne vire à la tragédie…
« Un président exemplaire, c’est… »
Tout le monde a remarqué que François Fillon, dans la partie du débat télévisé portant sur l’exemplarité d’un président de la République, faisait usage de l’anaphore, commençant cinq phrases successives par « un président exemplaire (c’) est un président qui… ». Chacun aura relevé la forme parodique du propos, calqué sur celui de François Hollande cinq ans plus tôt. Mais là s’arrête la similitude. En 2012, le candidat socialiste indiquait à chaque étape de son énumération tout à la fois ce qu’il reprochait à son concurrent et ce qu’il s’engageait à ne pas faire une fois élu. En 2017, le candidat de la droite et du centre ne s’en prend pas à ses concurrents mais, un peu, à Nicolas Sarkozy et, beaucoup, à François Hollande. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne participent à la présente compétition, ce qui semble indiquer qu’au fond, François Fillon n’est pas dans la bataille pour le prochain quinquennat, mais règle ses comptes avec les deux derniers locataires de l’Elysée.
« faire entendre le camp des travailleurs »
Nathalie Arthaud, Le Grand débat, BFMTV, 4 avril 2017
Si les slogans des présidentiables gomment ordinairement les marques personnelles (En Marche !, qui reprend les initiales d’Emmanuel Macron, constitue un hapax, c’est-à-dire un cas isolé), celui de Lutte Ouvrière en fait un impératif idéologique, Nathalie Arthaud se présentant comme simple porte-parole du « camp des travailleurs ». La puissance performative de ce mot d’ordre est apparue lors du débat télévisé qui a permis à la candidate communiste de défendre son programme devant des millions de télespectateurs. Par sa structure, le slogan « faire entendre le camp des travailleurs » semble très proche de celui qu’a choisi le socialiste Benoît Hamon, « faire battre le cœur de la France ». Tous deux sont en effet fondés sur une périphrase verbale (faire + infinitif) suivie d’un complément du nom, qui invite à l’action ; mais ils s’avèrent en réalité antithétiques. Là où Benoît Hamon associe synecdoque et personnification, LO fait un usage moins abstrait de cette dernière figure, en prétendant « faire entendre le camp des travailleurs » plutôt que « les travailleurs » tout court. Lorsqu’on rapproche les deux formules, le jeu des sonorités (« cœur », « camp » ; « cœur », « travailleurs ») favorise à la fois l’analogie (le cœur de la France, ce sont les travailleurs) et le renversement, puisque « camp » isole les travailleurs du reste de la population. Vision clivée, où la classe ‒ qui ne connaît pas de frontières ‒ l’emporte sur la communauté nationale. Sont effacés au passage les accents patriotico-érotiques du slogan hamonien (on se souvient qu’au début de la Grande guerre, la propagande vantait l’uniforme des soldats, ce « pantalon garance où bat le cœur de la France »). De façon très pragmatique, pour N. Arthaud, seul importe de donner sa voix pour donner de la voix.